Chaque mois, nous demandons à une personnalité du SEO francophone sa vision du futur de notre métier à une échéance de 5 ans (au-delà on peut imaginer que c'est de la pure science-fiction). Ce mois-ci, c'est Sébastien Monnier, ancien googler et ancien président du Seo Camp, fondateur de la société Woptimo, qui nous donne sa vision du futur de ce métier en revenant sur les quelques années qui viennent de s'écouler pour mieux envisager les prochaines...

Par Sébastien Monnier


Pour connaître le futur, révise ton passé

Parfois, le meilleur moyen de se plonger dans le futur est de faire un regard en arrière vers le passé. Et je remonterai même au delà des cinq dernières années... Regardons la dernière décennie, qui a, à la fois, mis le SEO dans la lumière, mais aussi montré ses limites.

En 2010, nous avons connu Caffeine, changement complet d'infrastructure permettant une indexation plus rapide et des améliorations plus flexibles du moteur. C'est un peu la première pierre indispensable de cette décennie de search.

Ensuite, d'un point de vue pénalité, nous avons eu le petit zoo avec principalement Panda et Penguin : beaucoup de pénalités entre 2010 et 2014 avec de fortes chutes même chez des acteurs importants. Depuis quelques années, en dehors de quelques secteurs ultra concurrentiels, c'est relativement plus calme et Google communique moins sur les pénalités ou sur l'achat de liens. Il se concentre désormais sur l'amélioration de l'expérience utilisateur, l'adaptabilité mobile, la performance et l'amélioration de l'indexation. Bref, l'équipe Search de Google a changé de discours. Ils sont passés de : "les SEO cherchent à nuire au moteur de recherche en abusant des failles de nos algos" à "les SEO sont nos alliés et peuvent nous aider à améliorer le web et les résultats du moteur." Ce changement n'est pas anodin et est là pour durer. La nouvelle Search Console reflète ce changement : plus d'informations, avec des recommandations précises. Google ira vers de plus en plus de collaboration avec les propriétaires des sites...

Un autre changement de fond a eu lieu ces dernières années. De 2010 à 2015, Google avait le fantasme de vouloir vaincre Facebook sur les terres du social en imposant Google Plus à tous les produits... Mais, depuis 2015, le focus a complètement changé et c'est désormais le deep learning et l'intelligence artificielle que nous retrouvons à tous les étages.

Dernier point, Google semble faire de plus en plus de ponts entre ses produits. Dernièrement, c'est ainsi Doubleclick et Google Analytics 360 qui s'intègrent dans Google Marketing Platform. Le renommage de Google AdWords en Google Ads n'est pas non plus anodin. Supprimer le "Words" indique que Google a des ambitions qui dépassent la simple monétisation de recherche sur Internet.

Bref, Google est sur un chemin pour l'instant couronné de succès. Il y a peu de chances qu'il s'en détourne. A nous de voir dans quelle mesure il continuera ce chemin pour les 5 prochaines années et l'impact que cela peut avoir pour le référencement.

La recherche : un business model en déclin

Au tout début de Google, peu de personnes croyaient vraiment qu'il y ait un business model avec la recherche par mots-clés, et tout le monde croyait plutôt en des annuaires à curation manuelle comme Yahoo! Peut-on revenir à un Web sans moteur de recherche ? Sans doute pas, mais si on réfléchit un peu sur nos comportements, on peut se rendre compte que l'utilisation d'un moteur de recherche se fait de moins en moins sur des requêtes purement transactionnelles, car celles-ci sont attirées par les sites marchands eux-mêmes, en particulier Amazon. Ceci peut être une tendance de fond et un vrai risque pour le business model de Google. Une simple baisse de quelques pourcents de requêtes transactionnelles peut remettre en cause l'hypercroissance du moteur. Il a donc tout intérêt à développer lui-même des solutions verticales comme Google Flights, Google Hotels et bien sûr Google Shopping... Bref, même s'il y aura toujours un Google pour la recherche d'informations classiques, on peut craindre le développement de recherches beaucoup plus contrôlées et intégrées. C'est tant mieux pour l'utilisateur qui trouvera sans doute plus rapidement le produit ou le service désiré. Pour le SEO, il s'agit bien d'un changement de méthode et une soumission quasi totale à des critères précis d'inclusion et de qualité imposés par un acteur. C'est déjà le cas dans des produits aussi divers que Google My Business, Google Play ou Google AMP...

Une partie du métier du référenceur sera donc de s'assurer au sens propre du terme du référencement au sein des services verticaux développés par les GAFA.

Est-ce pour autant la fin du Web libre ? Non, car il restera toujours la possibilité d'avoir son propre site sur la Toile, mais pour de nombreuses entreprises, une présence bien pensée sur Facebook, Google My Business et/ou LinkedIn suffira. Il est probable que Google lance un CMS, avec une base open source, mais des finalités bien commerciales (un peu comme Chrome ou Android). Ce nouveau CMS serait une fusion entre Google Sites, Blogspot ou les sites Google My Business, le tout hébergé sur Google Cloud Computing. N'oublions pas que Google travaille déjà depuis quelques temps avec WordPress. Google a franchi le Rubicon et accepte désormais sans aucun tabou d'héberger des sites et des informations, parfois même directement comme avec Posts On Google et, très récemment Cameos. Créer un site directement dans l'écosystème Google pourrait être enfin une certaine garantie SEO : avoir un site indépendant deviendra alors de plus en plus superflu... Comment faire du SEO dans ce contexte ?

En fait, il faut déplacer le scope du SEO et, pour beaucoup de marques, ne plus se concentrer sur un SEO de site, avec un focus sur la technique, mais penser trouvabilité dans un monde où l'information s'héberge, se cherche et s'échange sans moteur de recherche généraliste. La cohérence et l'optimisation de ce contenu à travers l'ensemble de l'écosystème seront des enjeux majeurs.

Un monde toujours plus connecté, ... mais différemment

J'ai eu mon premier smartphone, sous Android déjà, pour Noël 2008, cadeau à tous les Googlers dont je faisais partie à l'époque, 3 mois avant son lancement officiel. J'étais tout fier, mais je n'aurais pas anticipé le spectacle assez saisissant du métro le matin, 10 ans plus tard, où la quasi totalité des personnes sont penchées sur leur téléphone... Comment donc anticiper les évolutions des prochaines années ? Dans cinq ans, la quasi totalité du trafic non professionnel sera mobile. La frontière entre systèmes d'exploitations mobile et desktop aura quasi complètement disparu et les decks de connexion smartphone seront généralisés. J'espère arriver un jour au bureau, poser mon téléphone sur la table et la connexion se fera directement avec écran, souris et clavier externes : la majorité de la puissance de calcul et de stockage sera déporté dans le Cloud et disponible instantanément via la 5G. La notion même de mobilité ne sera même plus tendance, puisqu'implicite dans tout comportement. Par contre, un gros travail d'adaptation des sites aux différents moments de consultation, via Google Auto lors des déplacements en voiture autonome, via Google Wear pour les déplacements... Le smartphone actuel sera de plus en plus concurrencé par des bracelets ou casquettes connectés. Adapter les interfaces sera le travail des UX designers, mais le SEO devra sans doute encore faire preuve de pédagogie pour montrer la voie...

 

L'autre changement qui impacte directement le Search est la recherche vocale. Les assistants vocaux sont souvent actuellement considérés comme gadget par beaucoup de gens dans mon entourage... Mais, étrangement, au bout de quelques jours chez moi, je les entends demander de lancer des vidéos sur Netflix, demander la météo ou quelques informations... Pour des informations et interactions simples, dans un contexte personnel, l'assistant vocal est extrêmement puissant. On constate surtout que Google a peu de problèmes de reconnaissance de voix et de compréhension. Ce qui est plus difficile, c'est le choix de la réponse et sa transmission. Pour des questions un peu complexes (car demander la météo et des dates de naissance, c'est utile mais pas passionnant), la réponse en synthèse vocale à partir d'un extrait du web n'est pas idéal. On peut donc supposer que Google sorte dans quelques mois / années la possibilité de doubler son site avec une voix naturelle. Un tel système permettrait de résoudre les limites intrinsèques du système d'assistance vocale, mais permettrait aussi de repenser l'intérêt pour un site d'avoir son contenu pillé par Google. J'imagine un système donnant-donnant où le site donne une voix structurée autour d'intentions de recherches définies contre des informations sur l'utilisateur ou la possibilité de placer une phrase promotionnelle en fin de message, par exemple. La frontière entre publicité et recherche naturelle sera sans doute plus fine pour la recherche vocale, cette technique de recherche sur Internet où on ouvre des dizaines d'onglets pour avoir la bonne réponse ou le bon produit ne sera plus réservé qu'aux plus avancés des utilisateurs. La réponse sera immédiate et vocale. Le SEO devra, de nouveau, y faire face et optimiser les critères techniques que Google et les autres ne manqueront pas de proposer d'imposer.

Le contenu : pivot central du métier SEO

"Le contenu est roi", ceci est répété en choeur par les SEO depuis plusieurs années et martelé par Google. Un moteur de recherche sur 30 000 milliards d'URL est effectivement une aventure linguistique hors du commun. N'oublions pas non plus la centaine de millions de livres et les 7 milliards de vidéos YouTube que Google peut analyser en reconnaissance vocale ! La masse de données disponibles a créé le plus grand graphe de connaissance de l'Histoire et ce n'est pas prêt de s'arrêter. L'avantage concurrentiel est tellement énorme que je ne mentionne même pas ici les concurrents comme Bing ou Qwant. Les algorithmes seront de plus en plus à même de reconnaître la qualité informationnelle des contenus et de leurs relations. Vouloir tromper le moteur par du contenu de faible qualité, mal présenté ou fait pour les moteurs commence déjà à être d'un autre âge. Les stratégies de PBN ou bourrinage sémantique seront, je l'espère, de l'histoire ancienne en 2023.

 

A l'inverse des stratégies de raccourcis, va se développer une vraie conscience du search dans l'ensemble des métiers de la communication. N'importe quel·le rédacteur·rice, communicant·e, attaché·e de presse devra avoir le réflexe de réfléchir le contenu à travers le prisme de la recherche. Je ne parle pas de modifier les textes pour Google, mais bien au contraire de prendre en compte l'intention de l'utilisateur sur l'ensemble de son parcours : de sa recherche jusqu'à la conversion. La dimension search du contenu, y compris son optimisation, sera intégrée dans un processus de conception éditoriale, et non plaqué dans une sorte de cocon SEO séparé de l'identité de marque et de l'expérience utilisateur.

Le SEO tel qu'on le connaît aujourd'hui ne va pas techniquement mourir, mais plutôt se diluer au sein des métiers de la comm' comme le marketing d'influence ou la stratégie de contenu.

Pour les sites à fort volume, il restera toujours un référent SEO technique pour la mesure et le monitoring de l'indexation, mais le SEO multitâche tel qu'on peut le connaître encore maintenant va tendre à disparaître. L'optimisation pour les modes de recherche sera toujours au centre des préoccupations mais l'importance de la pertinence du contenu nécessitera de faire appel à d'autres compétences comme la stratégie de contenu ou la web analyse.

Et puis, au printemps 2023, j'espère de tout coeur qu'on pourra fêter le 15e anniversaire du SEO Camp'us... Mais peut-être certains auront-ils même oublié la signification de l'acronyme SEO, comme on oublie ce que signifie SFR ou OVH. Et je propose qu'une belle table ronde soit organisée avec relecture des meilleurs et pires prédictions... on pourra bien rigoler ! 😉


Sébastien Monnier, fondateur de la société Woptimo (https://woptimo.com/).