Le syndrome de Dunning-Kruger touche toutes les sphères professionnelles, et les acteurs du SEO ne sont pas épargnés, notamment certaines agences créées (trop ?) récemment. Ces métiers complexes sujets aux variations constantes et aux technologies qui évoluent sont les premières victimes de ce biais cognitif méconnu et pourtant universel.

Mais au fait, qu’est ce que l’effet Dunning-Kruger?

Le syndrome de Dunning-Kruger est un biais cognitif comme il en existe beaucoup. Le syndrome de l'imposteur, par exemple, en est un. Le biais cognitif est une manœuvre fallacieuse de notre cerveau pour analyser une information et la traiter rapidement. Un raccourci en quelque sorte, basé de manière subjective sur un ensemble d’informations lues, vues, entendues et vécues.

En 1995, David Dunning et Justin Kruger, psychologues américains, ont mené une série d'expériences psycho-sociologiques publiées en 1999 dans le Journal of Personality and Social Psychology.

Le biais cognitif de surestimation ou le syndrome Dunning-Kruger est donc l’incapacité à reconnaître objectivement notre compétence dans un domaine.

En d'autres termes, ce sont les personnes qui pensent le mieux maîtriser un sujet qui sont les moins compétentes. Ils surestiment leurs capacités et leurs performances. En parallèle, les personnes les plus compétentes ont  tendance à se sous-estimer. Ce dernier point est en train d’évoluer, mais les scientifiques restent catégoriques sur ce biais qui provoque une surestimation de ses connaissances. On l'appelle également le biais de supériorité illusoire, ça donne le ton !

Si 90% des personnes se pensent au-dessus de la moyenne, statistiquement il y a un problème, comme nous l’explique Albert Moukheiber*, docteur en neurosciences, spécialiste des biais cognitifs et psychologue clinicien : « C’est notamment sur des sujets très techniques ou même parfois aussi les choses de la vie quotidienne, qu’on a tendance à surestimer notre compréhension des choses. On croit savoir comment fonctionne un réfrigérateur par exemple, ou comprendre des sujets complexes. »

Albert Moukheiber, Docteur en Neurosciences Cognitives, Psychologue Clinicien et Co-Fondateur de Chiasma

Lorsque beaucoup d'informations affluent dans le cerveau, nous utilisons des croyances subjectives et inconscientes pour les traiter plus rapidement. Cela simplifie le traitement de l’information. L’apprentissage offre une telle montée de connaissances, comme une euphorie, que l’on pense avoir tout saisi de la complexité d’un sujet, parfois même plus que les experts reconnus. C’est aussi « une sorte de stimulation qui nous inciterait à continuer à apprendre »  d’après Albert Moukheiber. « On se sent doué, c’est motivant », conclut-il.

Les personnes les moins compétentes dans un domaine sont donc celles qui se surestiment le plus. Alors pourquoi nous direz-vous ? Comment peut-on à ce point être ignorant de sa propre ignorance ?

Moins vous maîtrisez un sujet, moins vous avez conscience de sa profondeur, de son étendue. A contrario plus vous en apprenez sur le sujet, plus vous prenez conscience de son étendue et de la masse d’informations qu’il vous faudra apprendre avant de le maîtriser correctement. Cela paraît logique et pourtant, tout le monde tombe dans le piège.

Albert Moukheiber confirme : « Comment est-ce que je vais réaliser que je ne comprends pas quelque chose, puisqu’il me faut le comprendre pour le réaliser. C’est un peu assimilable au problème de l'œuf et de la poule. »

Lorsque l’on découvre un nouveau domaine, pendant tout le processus d'apprentissage il existe des phases immuables et communes à chacun. Dans le schéma ci-dessous, sur l'abscisse on trouve les compétences réelles et sur l’ordonnée, le niveau de confiance.

Schéma inspiré des recherches de Dunning et Kruger illustrant le processus d’auto-évaluation au cours de l’acquisition d’une compétence.

 

On peut remarquer qu' au début d’un apprentissage, la courbe monte en flèche au niveau de la confiance. Il s’agit de « la montagne de la stupidité » : l’engouement pour le sujet nous donne une confiance absolue dans nos connaissances, quand bien même sont-elles superficielles.

Puis on avance en connaissances et on découvre alors que la tâche pour maîtriser son sujet est plus ardue qu’il ne semblait au départ et nous descendons alors assez rapidement dans la « vallée de l’humilité ». Enfin, on observe une lente et progressive remontée : le dur labeur de la connaissance qui s'acquiert à force de travail et de pratique régulière.

« Sous l’effet de surconfiance, on a tendance à se surestimer au début du schéma d’apprentissage puis au fur et à mesure qu’on apprend, on réalise qu’on avait mal compris » ajoute notre expert, Albert Moukheiber. Il est, en effet, nécessaire de se donner du temps pour maîtriser un sujet et ainsi gagner en expertise.

La connaissance d’un sujet, tel que le SEO dans le cas qui nous intéresse, ne s'acquiert qu’avec le temps et surtout l’humilité. Les experts savent que la connaissance s’obtient sur la durée, qu’elle évolue et s’entretient. Spontanément, on se sent compétent, c’est naturel. Mais avoir conscience de l’effet de surconfiance et faire preuve de prudence nous protègent de comportements préjudiciables à notre activité ou notre entreprise.

Il s’agit de trouver un équilibre entre confiance en soi et remise en question. Ce qui peut parfois passer pour de l’arrogance ou de l'orgueil, n’est simplement qu’une mauvaise estimation de ses propres compétences. Pour conclure, plus vous avez des connaissances sur un sujet, plus vous savez qu’il vous faudra du temps pour en maîtriser toutes les facettes. A contrario, moins vous maîtrisez ce sujet, plus vous pensez le connaître.

Quel est l’impact du syndrome de Dunning-Kruger pour l’univers du SEO?

 Comme tout domaine professionnel à forte évolution, le biais de surestimation guette, tapi dans l’ombre. Ça peut être dans les traits d’un collaborateur ou même d’un dirigeant. De nombreuses agences SEO se sont montées en peu de temps, à la hâte parfois, sentant une opportunité de business prometteurs.

L’essor du SEO et sa démocratisation par la prolifération d’articles, de livres, d’outils et autres tutos grand public, ont aidé beaucoup de gens à comprendre l’importance et la nécessité de maîtriser le référencement aujourd’hui. Le besoin fut grandissant et nombreux sont les spécialistes qui ont fleuri un peu partout. Cependant, on ne s’improvise pas expert dans un domaine, même si notre cerveau veut désespérément nous le faire croire.

Le problème qui se pose ici n’est pas tant de se croire expert quand on ne l’est pas, mais de confier ce travail à quelqu'un qui surestimerait ses compétences dans le domaine.

En ce qui concerne le SEO, on peut être tenté de déléguer cette partie technique à une agence compétente. Mais supposons qu’un de vos collaborateurs, vous-même ou la société mandatée se trouve au sommet de la « montagne de la stupidité », ce qui ne veut pas dire qu’ils/vous/eux/moi/ma grand-mère soit stupide(s) mais simplement, qu’à ce stade, la maîtrise du « sujet SEO » n’est qu’une illusion et que la perspective de planter le contrat est quand même hautement probable.

Comprenez bien que, dans ces conditions, il est clairement important d’avoir conscience de votre niveau d'expertise ou de connaître celui de la société que vous avez mandatée pour gérer vos dossiers. Sinon, on frôle la catastrophe. Le souci aujourd’hui est que, parmi la multitude de néo-experts, certains vont vous promettre, voire garantir, d’insolents résultats en un temps donné. Il est alors plus que conseillé d’envisager qu’ils se font des illusions sur le niveau de leurs compétences.

De plus, le leitmotiv des experts chevronnés n’est il pas la maxime de Socrate:  « ce que je sais, c'est que je ne sais rien ». Car oui, le drame de la connaissance c’est qu’elle nous échappe cognitivement quand on la maîtrise. Finalement, plus ils apprennent, plus ils prennent conscience de l’étendue des choses qu’il leur reste à apprendre et celles qu’ils ne maîtrisent pas encore. D’où un sentiment d’humilité qui frôle parfois la sous-estimation de leur savoir.

Portrait de Socrate. Ve siècle avant J.C

 

Quel escroc ce cerveau, les ignorants croient savoir et les savants doutent... Les experts en SEO savent très bien que la discipline nécessite à la fois veille continue, remise en question et interrogation constante de ses pratiques.

Le cerveau humain a, également, besoin d’être rassuré et de se retrouver face à quelqu’un qui vous assure détenir les clés et les réponses à votre problème. Naturellement, ça vous apaise, ça vous réconforte. Comment ne pas faire confiance à quelqu’un qui arrive avec des certitudes et des réponses ? On a envie de lui confier nos dossiers, notre entreprise, nos clients. C’est humain et normal de s’en remettre à ceux qui font preuve d’une plus grande confiance en eux, celle qui nous garantit l’évolution et la résolution des problèmes. Sans aucune mauvaise intention, on peut duper les gens ou se duper soi-même et risquer de tout perdre. Quelle angoisse !

Biais de surestimation: Tous concernés, tous coupables?

 Aujourd’hui, chacun a accès à de nombreux supports d’apprentissage et sources d’informations. On peut donc facilement apprendre et vite se penser expert dans un domaine. Nul n’est à l’abri. Et comme nous l'explique notre chercheur en neuroscience : « Tout le monde le fait, et on ne se rend pas compte qu’on le fait quand on le fait ! Ça touche tout le monde ».

Il existe une perte de niveau d’expertise du fait de la prolifération des « neo-experts ». La dilution des savoirs et le nivellement par le bas que cela engendre, deviennent problématiques pour la profession. Nous pouvons nous heurter parfois aux injonctions d’un « neo-expert » au détriment même du bon sens et des bonnes pratiques SEO, parfois sous couvert d'expériences réussies.

On sait bien qu’une technique qui fonctionne une année, peut être complètement obsolète l’année d’après, car les algorithmes de Google et le contexte évoluent constamment. Ignorer cette obsolescence des techniques et ne pas l’anticiper, est une pratique dangereuse que beaucoup d'agences ou acteurs du SEO ont payé au prix fort. À chaque évolution de Google, les certitudes et tout le travail accompli jusque là peuvent disparaître. C’est un risque que peu d'entrepreneurs peuvent se permettre de prendre.

Toute personne est potentiellement sujette au syndrome de Dunning-Kruger, ne sachant pas ce qu’elle ignore. Elle propage un contenu non vérifié, partiel voire mensonger. Il n’est jamais agréable de sortir de sa zone de confort. Car le « mont de la stupidité », lui, est très douillet. On sait tout, on a tout compris, c’est assez simple et les autres ne comprennent rien, pas même les experts !

Mais, une fois l’étape franchie, quand on augmente son niveau de connaissance sur un sujet, on découvre avec stupeur l'étendue de notre incompétence. Et cela, ça n’a rien de confortable pour personne. Et c’est seulement à ce moment-là que l’on peut enfin commencer à apprendre et espérer maîtriser son sujet. Fébrilement, j’en conviens, mais petit pas par petits pas, prudemment, avec un peu de doutes providentiels quant à ses certitudes d’antan, on finira alors par maîtriser ce domaine tant convoité.

Si on devait caricaturer : l’incompétent schématise, il est très assuré, il fait des raccourcis, il est farci de certitudes. L'expert, lui, avance prudemment, il s’appuie sur les faits (et non des opinions), des chiffres, des données vérifiables, il cherche à être précis et il nuance ses propos.

Mais alors comment éviter de tomber dans le piège du syndrome de Dunning-Kruger?

Comment éviter les mauvaises interprétations ?  Et comment se prémunir des dommages que cela engendrerait ? Que ce soit pour dans le cadre d’un partenariat professionnel, avec un collaborateur ou pour soi-même, les recommandations sont les mêmes :

  • En avoir conscience est déjà un bon début.
  • Rester vigilant puisque personne n’y échappe et que c’est un processus d’apprentissage qui s’applique à tous les domaines.
  • Se méfier de l’impulsivité des réponses via les réseaux sociaux. L'immédiateté des informations entraîne une suradaptation par le cerveau et augmente l’apparition de ce biais cognitif.
  • Ne pas se croire infaillible dans ses décisions et ses process.
  • Mesurer ses performances à l’aide d’outils objectifs.
  • Se former sans cesse sur son sujet d’expertise, aller chercher les évolutions, les nouveautés, remettre en question ses acquis constamment.
  • Proposer des feedback à vos équipes, avec des exemples concrets de retours ainsi qu’une mesure des performances.
  • Confronter vos idées et vos process. Se mettre à l’épreuve du débat. Ne pas être le seul capitaine du bateau. Ne jamais refuser de confronter vos idées ou vos décisions.

La chose la plus importante que nous propose Albert Moukheiber est de « confronter les points de vue des experts, d’aller consulter d’autres avis. Il ne faut jamais se contenter d’un seul expert, car même les experts sont en proie à des excès de confiance ou à la mauvaise compréhension des autres ».

Souvent, les personnes touchées par le biais de surestimation ne savent pas qu’il existe une manière de faire autrement. Ce n'est ni de la mauvaise volonté, ni de la bêtise. De nombreux entrepreneurs sont restés convaincus que leurs pratiques fonctionnaient et que l'évolution ou la remise en question de celles-ci n'étaient pas nécessaires. Ils ont eu de douloureuses prises de conscience quand leur marché a évolué et qu’ils sont restés sur le bas côté, incapables de s’adapter, faute de connaissances suffisantes dans leur domaine d’expertise.

La surconfiance est la porte ouverte à tous les déboires.

Revenir sur des pratiques, quand bien même, elles seraient synonymes d’échecs ou de perte de temps, est compliqué. « Il est dur d’admettre que l’on s’est trompé, parfois pour une raison de biais d’engagement*, par norme sociale, pour des raisons d'argent aussi, on répète ce qu’on a entendu. Un peu comme les tests de personnalités lors d’un recrutement. Je passe mon temps à expliquer que cela ne fonctionne pas, mais il y a des personnes qui continuent de croire que c’est utile pour eux. Ce n’est pas facile de revenir en arrière parfois », nous raconte Albert Moukheiber, avant de compléter : « soit ils ne veulent pas perdre la face devant un client qui appelle pour avoir des recommandations. soit ils se surestiment. Ils répètent ce qu’ils ont entendu. On a tous donné des conseils automatiquement mais si on s'était posé, on réaliserait que c'était un mauvais conseil. Mais imaginez s’ils ont déjà parlé de ce sujet plein de fois en public, ils ne vont pas avoir très envie d’avouer qu’ils ont dit des conneries ».

C'est exactement ce qui se passe avec certaines agences SEO qui continuent à expliquer que la web perf (le temps de chargement des pages, les Core Web Vitals) est un critère essentiel pour le SEO et le classement des sites dans les SERP, alors que, dans les faits, il est évident (et prouvé par plusieurs études !) que son impact est quasi nul.

Si vous êtes amené à travailler avec un tel individu, n’hésitez pas à lui présenter des exemples concrets. Il ne s’agit pas de mauvaise foi mais d’une représentation erronée de ses compétences. Ça ne sera agréable pour personne mais ça sera certainement une belle avancée pour votre interlocuteur et un moyen de vous prémunir de dégâts à venir.

Dans le cadre d’un recrutement en entreprise, il est important de ne pas confondre confiance en soi et compétences car, le cas échéant, cela risque de créer des injustices ou de générer une ambiance de travail délétère. Un collaborateur ou un manager sous l’effet de surconfiance aura tendance à refuser toute tentative d’amélioration et de remise en question de son process. Et on sait, en SEO, que les process évoluent, quand bien même ils fonctionnent à un instant T.

Et, avouez, quand un manager vous impose son savoir approximatif sur un sujet que vous maîtrisez, sa crédibilité et sa légitimité en prennent un sacré coup...

Conclusion

Les biais cognitifs nous atteignent tous à un moment donné dans notre carrière professionnelle et les ignorer nous expose à des déconvenues qui peuvent s’avérer préjudiciables pour nos affaires. Le biais de surestimation est bien présent dans les agences SEO et dans l’inconscient de nos collaborateurs référenceurs. La connaissance des mécanismes du syndrome de Dunning-Kruger, ou comme appelé aujourd’hui, l’effet de surconfiance, permet d’éviter les mauvaises surprises quant au référencement de vos sites ou des sites de vos clients.

Il n'y a pas de recette miracle en ce qui concerne le SEO. Google met à rude épreuve notre sphère cognitive en nous poussant sans cesse au questionnement et à la remise en cause de nos connaissances. C’est un challenge qui nous oblige à l'excellence et, par conséquent, se contenter de survoler le sujet pour se l'approprier ne suffit plus. Google veille, autant que nous devons approfondir la nôtre. Alors ne cessons jamais d’apprendre afin de maîtriser l’art de ne pas tout savoir !

 

* Albert Moukheiber, docteur en neurosciences, psychologue clinicien, co-fondateur de Chiasma, auteur de "Votre cerveau vous joue des tours” éd. Allary, interview réalisée le 31.01.2022 par Dorothée Redval

** Biais d’engagement : tendance à poursuivre l'action engagée malgré la confrontation à des résultats de plus en plus négatifs (source : Wikipédia)

Dorothée Redval, rédactrice web (https://www.linkedin.com/in/dorothee-redval/)