Les récents articles de la Lettre ont mis en exergue un pan du droit peu connu des professionnels, à savoir l’encadrement pénal des techniques de SEO. Si Google se bat contre le negative SEO en appliquant des pénalités allant jusqu’à la désindexation ou le déclassement, il n’en reste pas moins que certaines techniques sont contraires à la loi pénale, à l’ordre public de l’Etat. La lecture même de ces textes peut amener à la question fondamentale : le SEO n’est-il pas, finalement, illégal ? Les textes incriminant toute manœuvre visant à fausser le fonctionnement normal d’un système de traitement de données ne couvrent-ils pas également le SEO ?

Par Alexandre Diehl


Rappel sur les principales techniques de SEO (et plus précisément de black SEO)

Même si ce rappel semble totalement superflu pour les lecteurs de cette lettre professionnelle, il sera utile pour la caractérisation juridique du SEO.

Le positionnement d'un lien dans les résultats de recherche de Google est effectué de manière automatique par un algorithme selon un grand nombre de critères, lesquels fluctuent très souvent. La position dans ces pages de résultat est accordée en fonction du score de pertinence donné à la page par l’algorithme de Google sur une requête donnée. Cependant, l’algorithme utilise plus de 200 critères et Google n’en donne pas la liste.

A ce stade de l’exposé, il est important (juridiquement) de souligner que nous sommes dans un environnement 100% Google. Cet environnement est évidemment régi par les lois des pays mais, puisque nous sommes chez Google, également par les recommandations et Guidelines du moteur portant notamment sur :

  • La qualité des liens entrants (blacklincks) en dofollow (liens permettant la popularité, ces liens sont suivis par les robots de Google, en opposition aux liens nofollow qui ne sont pas suivis car considérés non pertinents) ;
  • La présence des mots clés dans le titre ;
  • La qualité et l’unicité du contenu proposé ;
  • L’autorité du domaine.
  • Etc.

Il est donc fondamental de souligner que Google conseille, et donc autorise, certaines optimisations qui ne portent en rien sur une atteinte au système en lui-même, mais plutôt sur une meilleure appréhension, par le système, de l’objet du SEO.

De manière générale et eu égard au respect de ces Guidelines, on peut distinguer 2 sortes de SEO :

  • Le SEO « classique » qui a pour but de faire remonter le site web dans le référencement naturel conformément aux règles en vigueur.
  • Le « negative SEO » qui viole les règles et/ou la loi. Comme le piratage informatique, il y a autant de techniques de negative SEO que de hackers. A titre, d’exemple, on pourrait souligner :
    • Le « duplicate content » (reproduction du contenu) qui consiste à reproduire le contenu du site (texte, image, logo, vidéo, etc.) sur des sites déjà extrêmement mal référencés par Google, de telle manière que Google (et autres moteurs) estimera que le contenu du site doit, en réalité, être mal référencé. Cette technique est extrêmement préjudiciable car il est ardu et long de « remonter la pente » et de retrouver un référencement normal, ce qui se traduit souvent en pertes importantes de chiffre d’affaires ;
    • Le « negative branding » (utilisation négative d’une marque) qui consiste à utiliser la marque d’un concurrent sur Internet pour nuire à sa réputation ;
    • La création de milliers / milliions de « backlinks » (liens hypertexte vers le site de la victime) dans des conditions négatives pour le référencement de la victime ;
    • Le dépôt de virus (malware notamment) sur les sites d’un concurrent (ou anciens sites qui ne sont plus exploités) ;
    • Pirater les sites de la victime pour changer le contenu (changement qui aura un impact très négatif sur le référencement), comme, par exemple, insérer du contenu illicite (visible par les Internautes) ou bien une balise (non visible par un Internaute, mais lu par les robots de Google : techniques de cloaking) indiquant au robot Google que le site est un site illicite ou un site pirate ;
    • Des plaintes sans fondement auprès des moteurs de recherche et autres acteurs privés, qui privent, pendant plusieurs mois, la victime d’un référencement ;
    • Des faux avis / avis consommateurs dénigrant les sites de la victime ;
    • Le faux trafic qui consiste à fausser toutes les statistiques d’analyse des trafics des sites (spam referer)  ;
    • Le spam du service / support client qui a vocation à noyer celui-ci ;
    • etc.

Dans le cadre de notre raisonnement, il est évident que le negative SEO est illégal. C’est même sa définition, sa nature intrinsèque.

La légalité du SEO « classique »

En revanche, le SEO classique, respectant les règles et la loi pourrait répondre à l’incrimination française d’accès et de maintien dans un système de traitement de données. En effet, l’article 323-2 du code pénal dispose: « Le fait d'entraver ou de fausser le fonctionnement d'un système de traitement automatisé de données est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.». De manière plus générale :

  • le fait d'accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d'emprisonnement et de 60 000 € d'amende. Lorsqu'il en est résulté soit la suppression ou la modification de données contenues dans le système, soit une altération du fonctionnement de ce système, la peine est de trois ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende ;
  • le fait d'introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé, d'extraire, de détenir, de reproduire, de transmettre, de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu'il contient est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.

Ces dispositions existent de manière analogue dans de très nombreux pays. En France, c’est d’ailleurs ce texte qui fonde toutes les actions pénales contre le piratage et le hacking.

Le lecteur attentif relèvera que la finalité du SEO est précisément de « fausser » le fonctionnement. Il est donc possible que le SEO « classique », qui respecte les Guidelines de Google, soit in fine dans le champ d’incrimination de cet article.

Toutefois, il convient de souligner plusieurs points importants :

  • d’une part, la notion de « fausser le fonctionnement » doit s’entendre de manière restrictive (puisque c’est la règle en matière pénale) et ne peut souffrir d’aucune interprétation. Les décisions sur le fondement de cet article sont rares et portent sur des cas évidents de piratage visant ensuite à spammer des destinataires. Par exemple, le Tribunal de Grande Instance de Lyon a eu à incriminer le fait de rentrer dans un système pour ensuite spammer des destinataires externes (le fait de « spammer » a alors été qualifié de « fausser le fonctionnement  ») (Tribunal de Grande Instance Lyon, 20 février 2001). Des décisions similaires ont également été prises par la justice dans le cas de piratage suivi de spamming (TGI Le Mans, 7 nov. 2003 ou encore CA Paris, 30 mars 2005, 04/04706).
     
    Au-delà de ces jurisprudences de circonstances car la justice découvrait alors les délits informatiques, il convient de souligner que le terme « fausser » implique également un fonctionnement intrinsèque du système concerné qui est manipulé, gauchi, modifié. Or, le SEO « classique » ne touche pas aux sources des scripts du moteur, aucune manipulation intrinsèque des algorithmes n’est opérée. En d’autres termes, les experts SEO ne modifient pas la finalité originelle du moteur. Cette différence nous semble fondamentale car le texte vise clairement une dénaturation du fonctionnement, ce qui n’est pas le cas dans le SEO. En effet, l’optimisation « joue » avant tout sur des paramètres et fonctionnalités connues ou supposées des algorithmes mais ne les modifie pas.
  • d’autre part, il est important de souligner qu’en droit pénal, la victime qui initie la plupart du temps l’action publique de telle manière qu’en l’absence de telle initiative, il est rare qu’une instruction naisse. A notre connaissance, sauf dans les cas précis de negative SEO, Google ou Microsoft n’ont jamais porté plainte en France contre des experts SEO sur ce terrain juridique.

En conséquence, nous voici rassurés de conclure que le SEO « classique » n’entre pas dans le champ de l’article L.323-2 du code pénal et peut, sur ce terrain, être qualifié juridiquement de « légal ».


Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)