Les Onebox de Google, ou information s'affichant en Position Zéro et proposant des contenus que Google détient (ou en relation avec des partenaires privilégiés) sont-elles l'expression d'un abus de position dominante et peuvent-elles être considérées comme répréhensibles par la loi et la Commission européenne, dans la droite ligne du jugement déjà rendu sur Google Shopping ? Voici notre avis sur ce sujet sensible...

Par Alexandre Diehl


Le site Abondance nous a présenté dernièrement dans une vidéo les grands principes de la Position Zéro, des Onebox et des Featured Snippets. Au-delà de l'aspect fonctionnel, sont rapidement apparus des commentaires critiques de la part de la communauté SEO sur ces fonctionnalités, certains n'hésitant pas à qualifier Google de « voleur de contenus » en estimant que ces « boites d'informations » dégradent très fortement le référencement. Ce fait pousse évidemment le juriste à se demander même s'il ne s'agit pas d'une pratique illicite d'abus de position dominante…

Le droit de la concurrence : les géants sous surveillance

Il n'aura échappé à personne qu'aujourd'hui les géants du net, notamment les GAFAM, n'ont cessé d'étendre leur emprise sur l'économie mondiale, affichant rien que pour Google un chiffre d'affaire annuel de 110,9 milliards de dollars en 2017 [1]. Cependant, pour parvenir à de tels résultats, ces entreprises recourent parfois à des procédés à la limite de la légalité.

Face à ces comportements répréhensibles, les institutions européennes n'ont cessé de chercher des solutions, n'hésitant pas, lorsque cela s'avérait nécessaire, à sanctionner ces opérateurs.

Dès le mois de juin, Abondance relatait la décision historique rendue par la Commission européenne qui a infligé le 27 juin 2017 une amende de 2,42 milliards d'euros à Google, pour avoir favorisé son comparateur de prix "Google Shopping" grâce à sa position dominante sur le marché de la recherche (http://recherche-referencement.abondance.com/2017/07/la-commission-europeenne-inflige-une.html). Il s'agit là de l'amende la plus élevée infligée par la Commission européenne en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.

C'est donc bien sur ce terrain que Google & co sont surveillés par les autorités nationales et c'est bien cette thématique qui est la plus pertinente pour se demander si les Google OneBox sont licites ou pas.

Qu'est ce qu'une Google OneBox ?

La Google OneBox est une boîte d'affichage séparée au sein des SERP, où les résultats d'une recherche sont compilés. La OneBox utilise les résultats de recherche émanant de la recherche universelle de Google, sans résultats naturels [2].

A la différence des résultats issus du référencement naturel et des référencement commerciaux, la OneBox apparait en position zéro, c'est-à-dire qu'elle se situe au-dessus des liens naturels de la SERP Google, situation que nombre de référenceurs souhaitent obtenir eu égard au trafic drainé.


Fig. 1. Exemple d'une OneBox Météo.

La OneBox a connu une intégration de plus en plus importante ces dernières années, réduisant de ce fait l'espace destiné aux résultats de recherche naturelle.

Concernant les featured snippet, Google précise que « Le résumé est extrait de façon programmatique de ce qu'un internaute voit sur votre page Web. Il se différencie des autres types d'extraits, car il est optimisé pour attirer l'attention de l'internaute sur la page de résultats. Lorsque notre système comprend que l'internaute pose une question, il détecte de façon programmatique les pages qui y répondent, et affiche un extrait optimisé du meilleur résultat dans les résultats de recherche.


Comme tous les résultats de recherche, les extraits optimisés reflètent le point de vue ou l'opinion du site d'où ils sont tirés, et non l'avis de Google. Nous cherchons en permanence à améliorer notre capacité à détecter l'extrait le plus utile. Ainsi, les résultats que vous voyez peuvent changer au fil du temps. Pour faire des commentaires sur un extrait optimisé, cliquez sur le lien "Commentaires" en bas du bloc. » [3].

Comme le précise Google, il s'agit d'une fenêtre automatique, décidée par Google et qu'aucune webmaster ne peut programmer ou acheter :

« Comment faire pour qu'un extrait optimisé de ma page s'affiche ?
Cela n'est pas possible. Google détermine de façon programmatique qu'une page donnée contient une réponse possible à la question de l'internaute et affiche alors le résultat dans un extrait de page optimisé. »

Il est aisément imaginable que l'introduction de ce dispositif puisse engendrer certains impacts négatifs aux annonceurs naturels, la OneBox étant au-dessus de l'espace des résultats naturels, les internautes n'auront plus nécessairement le besoin de se diriger vers les liens naturels car le résultat de leur recherche apparaitra instantanément sur la SERP, risquant ainsi d'entrainer une perte de trafic substantielle à ces annonceurs naturels.

Comme le soulignait Abondance il y a quelques semaines, l'apparition d'appareils tel que Google Home est susceptible d'accentuer la problématique, une étude ayant démontré que lorsque Google Home réussit à répondre à une question énoncée vocalement, 80% de des informations fournies le sont en se basant sur un contenu affiché en position zéro lors d'une requête par mots clés [4].

Cette pratique étant définie, il s'agira de déterminer sous l'angle du droit européen de la concurrence si celle-ci est passible d'être caractérisée comme une entrave à la concurrence.

Application du droit de la concurrence

L'article 102 du TFUE introduit une prohibition au comportement des entreprise en visant la prohibition de l'abus de position dominante. En effet, celui-ci dispose qu'« est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-c i».

De ce fait, seul l'abus de position dominante sera prohibé, et non la position en elle-même. Il faut donc parvenir à caractériser la position dominante, afin d'en démontrer l'abus par la suite.

Sur la détermination du marché pertinent et de la position dominante de Google :

Dans les arrêts United Brands et Hoffmann-La Roche, la Cour de Justice de l'Union européenne définit la position dominante comme « le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en fournissant la possibilité de comportement indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, de ses consommateurs ».

Il ne peut pas être contesté que Google est en position dominante sur le marché des moteurs de recherche puisque d'après StatCounter, Google bénéficie de plus de 90,1% de parts de marché en France aujourd'hui [5].


Fig. 2. Parts de marché des moteurs de recherche en France (source : StatCounter).

La question n'est pas de savoir si Google est en position dominante sur le marché de la recherche d'informations, mais est-ce que ce marché est pertinent ou non. Est-ce que le marché de l'affichage de la OneBox existe ? En d'autres termes, quel est le périmètre du marché pertinent ?

Google et l'ensemble des acteurs proposent un type de produit spécifique, pour un but spécifique et selon un business plan spécifique. La concurrence entre acteurs existe. L'expérience et l'analyse des textes et de la jurisprudence européenne montrent donc qu'il est très fortement probable que les autorités considèrent le monde du "search" comme un marché pertinent, accessible de tout le territoire de l'Union européenne.

Au demeurant, la Commission, dans ses différentes affaires contre Google ou autres, a qualifié à plusieurs reprises le search comme un marché, allant même jusqu'à déterminer comme pertinent des marchés « connexes » ou « sous-marchés », comme la recherche Shopping (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-1784_fr.htm).

Il semble donc aisé de déterminer que Google est en position dominante sur le marché français ou européen de la recherche d'informations sur le Web.

Sur la détermination de l'abus :

Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (« TFUE ») ne définit pas une position dominante comme interdite, mais uniquement son abus.

Ainsi, le Traité donne quelques exemples de pratiques abusives, qui ne sont pas limitatifs :

« Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

(article 102 TFUE)

Il convient également de rappeler que l'intention de nuire n'est pas un élément constitutif de l'abus, l'abus étant une « une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services, au maintien du degré de concurrence existant sur le marché ou au développement de cette concurrence » (CJCE, 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche & Co. AG contre Commission).  Ainsi, tout comportement d'une entreprise en position dominante peut être qualifié d'abus quand il lui permet de limiter les effets de la concurrence.

L'énumération par le TFUE des divers types d'abus n'étant que très brève, la Cour de Justice a rapidement considéré que celle-ci n'épuisait pas les modes d'exploitation abusive de position dominante, et pouvait ainsi être enrichie de manière à servir pleinement les finalités de la constitution européenne (CJCE, 21 févr. 1973, aff. 6/72, Continental Can).

De ce fait, comme le soulève le professeur Prietto [6], la pratique décisionnelle de la Commission, encouragée par la Cour de justice, s'est orientée vers un mode d'appréhension d'abus atypiques. Il s'agit de comportements similaires à ceux qui sont stigmatisés par le droit de la concurrence déloyale, mais avec au surplus un impact sur le marché en ce sens qu'il porte au bien-être collectif. Parmi ces abus atypiques figure celui dégagé par l'arrêt Google Shopping, sorte d'abus par algorithme par lequel Google, à travers un effet de levier, accapare des marchés où ses mérites sont plus faibles que ceux de ses concurrents, engendrant de ce fait des effets anticoncurrentiels évinçant ses concurrents du fait qu'il soit le seul maitre de son algorithme.

En effet, la Commission indique que « L'article 102 du traité et l'article 54 de l'accord EEE interdisent non seulement les pratiques d'une entreprise en position dominante qui tendent à renforcer cette position, mais aussi le comportement d'une entreprise ayant une position dominante sur un marché donné tendant à étendre cette position à un marché voisin mais distinct en faussant la concurrence ». Ces effets anticoncurrentiels sont ainsi répercutés sur les consommateurs qui seront rapidement privés de choix.

La pratique des OneBox n'est pas semblable à celle pratiquée dans l'affaire Google Shopping et il nous semble impossible de faire un raisonnement par analogie : dans l'affaire Google Shooping, Google favorisait son propre service par rapport aux concurrents. En l'espèce, c'est le fait le partenaire choisi par Google qui sera favorisé par rapport aux concurrents.

Afin de sanctionner cette pratique, une analyse de ses effets sur le marché ainsi que la détermination des modalités de sélection des résultats affichés dans les OneBox semble nécessaire.

Dans ce cadre, il est important de conserver en tête que la Commission, dans son souci de modernisation de la politique européenne de concurrence, présente le bien-être du consommateur comme la pierre angulaire de son raisonnement. Ainsi, s'il s'avère que cette pratique présente des effets néfastes sur le bien-être du consommateur, il est possible que l'abus soit plus facilement caractérisé. Or, en l'état de notre connaissance, il semble que le consommateur et son bien-être ne soient que peu impactés par la pratique des OneBox.

A l'inverse, le fait que le référencement naturel d'autres sites soit fortement impacté par les OneBox ne sera que partiellement pris en compte. Ainsi, le site Ryte souligne : « L'introduction de la OneBox de Google a eu des conséquences partiellement graves pour les webmasters, entraînant une énorme perte de trafic. En insérant la OneBox au-dessus de l'espace des résultats de recherche naturelle, les succès naturels de la première page des SERP sont diminués et les utilisateurs peuvent obtenir le résultat souhaité via Google OneBox. Il n'est donc plus nécessaire pour eux de visiter un autre site web. Les requêtes telles que la météo peuvent être directement effectuées dans la barre de recherche Google. En plus d'une perte de trafic, les sites web qui utilisent Google AdSense peuvent s'attendre à une baisse des ventes supplémentaire.
Particulièrement pour les domaines concernés par la OneBox de Google, des mesures d'optimisation du référencement sont fortement conseillées pour améliorer les longues files d'attente, afin de minimiser les pertes sur les requêtes d'un ou deux mots » [7].

Le préjudice existe donc bien, mais il n'est pas certain que la faute, l'abus soit caractérisé. Seule une décision de la Commission pourrait confirmer ce point.

Google sanctionné demain ?

Nous avons dénoncé à plusieurs reprises dans cette lettre professionnelle un certain laxisme de la Commission à l'égard de Google qui bénéficie manifestement de largesses que d'autres entreprises européennes ne connaissent pas. La Commission a laissé près de 7 ans à Google pour changer sa politique et éviter une amende, l'amende de 2,42 milliards n'a toujours pas été payée, les discussions sont toujours en cours pour que le recours formé devant la CJUE contre cette décision soit suspensive (alors qu'elle ne peut pas l'être), etc..

Toutefois, dans le cadre de son discours sur l'état de l'Union du 13 septembre 2017 [8], le Président Juncker a lancé un projet de « régulation » des plateformes (y inclus les moteurs) afin de « garantir, dans l'économie en ligne, un environnement équitable, prévisible, durable et suscitant la confiance ». C'est ainsi que le 26 avril dernier, la Commission a présenté un avant-projet de règlement européen « pour assurer la transparence et l'équité dans les relations commerciales avec les plateformes » qui pourra, par exemple, être un complément juridique permettant à la Commission de limiter, encadrer voire sanctionner Google en cas de trop importants impacts sur le marché des OneBox [9].

A condition d'en avoir la volonté politique…

Sources

[1] : Source: l’Express
[2] : Source : https://www.definitions-seo.com/definition-de-onebox-google/
[3] : Source : https://support.google.com/webmasters/answer/6229325?hl=fr-FR
[4] : https://www.abondance.com/actualites/20180119-18842-google-home-80-de-reponses-issues-featured-snippets-etude.html
[5] : http://gs.statcounter.com/search-engine-market-share/all/france/#monthly-201704-201804
[6] : JC Europe Traité, Synthèse - Abus de position dominante
[7] : https://fr.ryte.com/wiki/Google_OneBox
[8] : https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/letter-of-intent-2017_fr.pdf
[9] : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-3372_fr.htm


Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)