Google a dernièrement mis en place des actions en justice contre des entreprises qui se servaient de son nom pour vendre des prestations par ailleurs gratuites lorsqu'on passait par les sites de la firme de Mountain View. Qu'en est-il en France où ce type de pratique est également courante ? Google pourrait-il mettre en place de telles actions juridiques dans l'Hexagone ?

Par Alexandre Diehl


Google vient a dernièrement annoncé une série de procès contre des scammeurs (arnaqueurs en anglais) qui commercialisent des services de Google pourtant fournis gratuitement et qui, parfois, se revendiquent même de Google. Ces comportements irritent particulièrement la société californienne qui estime qu’ils amoindrissent la réputation de Google et frustrent les entreprises.

Les techniques de scammeur dénoncées par Google

D’une part, Google se plaint de manœuvres de prestataires SEO qui se prétendraient « de Google ». Ces prestataires tireraient avantage de ce lien de filiation revendiqué pour proposer une amélioration du positionnement dans les recherches naturelles de leurs prospects. En d’autres termes, ces agences proposeraient des prestations SEO en revendiquant un lien avec Google (ce qui est clairement totalement impossible à l'heure actuelle).

D’autre part, il semblerait que ces mêmes tiers tentent parfois de vendre des prestations et/ou outils de Google qui sont pourtant disponibles gratuitement. Par exemple, il est reproché à plusieurs sociétés de faire du démarchage téléphonique auprès de PME en mettant en exergue une fausse possibilité de déréférencement du site du prospect et un service de « claiming and verification » pour un montant allant de 300$ à 700$.

Ces techniques, que Google appellent « scams » (arnaques) sont donc illégales à de nombreux titres.

Les fondements juridiques permettant les poursuites

Aux Etats-Unis, les procédures sont ouvertes aux victimes (ici Google) et à l’Etat (Ministère public ou équivalent) pour des actions civiles et/ou pénales.

Google précise dans son communiqué qu’elle va entreprendre, de son côté, des actions. De plus, la FTC (Federal Trade Commission), qui a des pouvoirs étendus proches de ceux de l’Autorité de la Concurrence + de la DGCCRF, a initié le 7 mai dernier, une procédure contre des prestataires SEO. Cette dernière action est basée sur une enquête approfondie qui a permis de récupérer de nombreux messages, emails et autres documents permettant de prouver les mensonges des entreprises SEO incriminées.

La plainte du 7 mai de la part du FTC vise les sociétés suivantes et leurs dirigeants :

  • POINTBREAK MEDIA, LLC,
  • DCP MARKETING, LLC,
  • MODERN SPOTLIGHT LLC,
  • PERFECT IMAGE ONLINE LLC.

Les fondements juridiques de droit américain permettant les poursuites sont de plusieurs ordres :

  • Violation de la section 5 du FTC Act qui interdit toute pratique déceptive ou déloyale ;
  • Violation de la même Section 5 du FTC Act qui interdit toute pratique de commerce déloyal qui causerait un préjudice certain aux consommateurs.

Au-delà de ces fondements propres à la FTC, Google peut également poursuivre ces entreprises sur des fondements similaires :

  • Violation des droits de propriété intellectuelle et droits de marque de la marque Google ;
  • Pratique de concurrence déloyale à l’égard de Google ;
  • Pratique trompeuses / mensongères.

Il est habituel que ces procédures soient menées devant des juridictions composées de magistrats professionnels, mais aussi d’un jury. L’aspect « consommation » de ces dossiers est donc fondamental car le jury, composé de « consommateurs », sera sensible à cette dimension psychologique qui ne manquera pas d’être mise en lumière par les avocats de Google.

Il est donc extrêmement probable, si les faits sont établis et présentés convenablement devant le tribunal et jury, que lesdites entreprises soient condamnées lourdement dans les mois à venir.

Et en France ?

Les pratiques de même type peuvent exister partout. La malhonnêteté ou encore les pratiques « limite » sont monnaie courante dans de nombreux secteurs, y compris le nôtre.

La France dispose donc d’un arsenal législatif proche de celui des Etats-Unis. La principale raison est que les mêmes causes ont le plus souvent les mêmes remèdes et qu’il est nécessaire que les Etats se dotent d’outils juridiques similaires.

Ainsi, des comportements « scam » pourraient en France être poursuivis des manières suivantes :

Pratiques commerciales trompeuses

L’article 121-2 du code de la consommation dispose :

« Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent ;
2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation;
e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n'est pas clairement identifiable. »

L’article 121-4 complète la liste en précisant que sont réputées trompeuses les pratiques commerciales qui ont pour objet : 
«  (…)
2° D'afficher un certificat, un label de qualité ou un équivalent sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire ; 
(…)
12° De formuler des affirmations matériellement inexactes en ce qui concerne la nature et l'ampleur des risques auxquels s'expose le consommateur sur le plan de sa sécurité personnelle ou de celle de sa famille s'il n'achète pas le produit ou le service ; 
13° De promouvoir un produit ou un service similaire à celui d'un autre fournisseur clairement identifié, de manière à inciter délibérément le consommateur à penser que le produit ou le service provient de ce fournisseur alors que tel n'est pas le cas ».

Ces pratiques sont condamnées d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros. Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel.

Pratiques agressives

L’article 121-6 du code de la consommation définit une pratique commerciale agressive « lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent :
1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur ;
2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur ;
3° Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur. »

Cette liste est complétée, par le fait :
« (…)
1° De donner au consommateur l'impression qu'il ne pourra quitter les lieux avant qu'un contrat n'ait été conclu ; 
2° D'effectuer des visites personnelles au domicile du consommateur, en ignorant sa demande de voir le professionnel quitter les lieux ou de ne pas y revenir, sauf si la législation nationale l'y autorise pour assurer l'exécution d'une obligation contractuelle ».

Ces pratiques sont condamnées d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros. Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel.

Pratiques illicites / concurrence déloyale

Le code de commerce encadre également les actions des commerçants, et notamment l’article L.442-6 qui dispose qu’engage « la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout [professionnel]:
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. (…)  »

De plus, le droit français contient un principe de sanction d’un comportement de « concurrence déloyale ». A ce titre, l’article 1240 dispose « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Ainsi, la mise en œuvre de la responsabilité civile d’une personne (comme un prestataire SEO indélicat) permet d'obtenir des dommages et intérêts mais est subordonnée à l'existence de trois éléments que la victime doit prouver :

  • un dommage, que la victime doit établir ;
  • une faute de la part du concurrent ;
  • et un lien de causalité entre les deux.

Les tribunaux apprécient in concreto la responsabilité civile, c'est-à-dire que c'est au cas par cas que les juridictions apprécient s’il y a eu ou non concurrence déloyale, en fonction de tous les éléments qui leurs sont apportés. Au demeurant, la Cour elle-même rappelle ce principe : « la concurrence déloyale, relevant de la responsabilité subjective, suppose que la victime prouve une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux ».

Un juge peut déterminer, en fonction du préjudice, le montant de dommages et intérêts.

Contrefaçon de marque

Les articles 713-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle interdisent à toute personne non légitime d’utiliser abusivement une marque déposée.

La notion d’abusif inclut évidemment le fait d’utiliser une marque, a fortiori centrale dans notre métier, pour promouvoir des services mensongers.

Les articles 716-9 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle prévoient des sanctions pénales à hauteur de 3 ans de prison et 300.000€ d’amende.

En conséquence, la France dispose d’un arsenal au moins aussi fourni que celui des Etats-Unis de telle manière qu’il convient d’éviter de procéder à des manœuvres frauduleuses ou adopter des comportements de scammeurs en France. A bon entendeur, salut !


Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)