Le fait de mettre en place un lien vers un site illégal peut-il être puni ? Pouvez-vous obliger un site web de créer un lien hypertexte vers votre site ? Ou, a contrario, l'obliger à le faire ? D'une façon générale, quel est le régime juridique qui gère la notion de lien ? Les cas sont assez nombreux depuis que le Web existe et la jurisprudence existe sur des points parfois complexes. Faisons un point...

Par Alexandre Diehl


Il n'existe aucune définition légale du lien hypertexte et le législateur français ou européen n'a jamais jugé utile de le faire. Toutefois, la fonction d'un lien reste celui de lier deux contenus et renvoie à une liberté fondamentale : la liberté de lier. Le Tribunal de Commerce de Nanterre a ainsi pu rappeler que : « la raison d'être d'Internet et ses principes de fonctionnement impliquent nécessairement que des liens hypertextes et intersites puissent être effectués librement » (T. com. Nanterre, 8 nov. 2000, Stepstone France c/ Ofir France - https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-commerce-de-nanterre-ordonnance-de-refere-du-8-novembre-2000/).

Cependant, si cette liberté de lier est érigée comme principe directeur d'Internet et donc du Web, il n'en demeure pas moins que le lien hypertexte peut occasionner des dérives, lorsque le lien pointe vers des contenus illicites, facilite une contrefaçon ou constitue un acte de concurrence déloyale.

Peut-on obliger un tiers à retirer un lien vers un site ?

La protection par le droit d'auteur

Parmi les droits exclusifs patrimoniaux, deux semblent particulièrement touchés par la pratique du lien hypertexte. Il s'agit du droit de représentation et du droit de reproduction.

Le droit de reproduction

Le droit de reproduction défini à l'article L122-3 du Code de propriété intellectuelle (CPI) dispose que le droit de reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre par tout procédé qui permet de la communiquer au public de manière indirecte.

Dès lors que l'auteur consent à la reproduction, il n'existe pas de difficulté en ce sens. Or, si tel n'est pas le cas, la reproduction sera synonyme de contrefaçon.

Pour rappel, aussi bien pour l'exercice du droit de reproduction que du droit de représentation, l'auteur d'une œuvre peut contrôler l'usage des reproductions de son œuvre, c'est-à-dire interdire l'usage de certaines reproductions et en autoriser d'autres. Le droit de reproduction se décline donc selon les modes d'exploitation, chaque mode d'exploitation supposant alors une autorisation distincte.

Les juges ont appliqué très tôt cette règle à la reproduction numérique, notamment dans un arrêt du 14 août 1996 du TGI de Paris dans lequel des étudiants avaient reproduit sur leur page personnelle des textes de chanson. Du moment où la page était accessible au public, et donc de façon non privée, la jurisprudence considère qu'il y a reproduction.

De même, l'article L122-4 du CPI interdit toute reproduction intégrale ou partielle sans l'autorisation de l'auteur ou de ses ayants droits. Ainsi, l'extraction de quelques mots d'un article est susceptible de constituer une reproduction partielle, et donc relève du monopole de l'auteur (CJUE Infopaq International A/S contre Danske Dagblades Forening, 16 juillet 2009).

Le droit de représentation

La représentation d'une œuvre consiste en la communication au public de l'œuvre par un procédé quelconque, et ce de manière directe ou indirecte, inclus une communication à travers Internet.

La CJUE a rendu un grand nombre d'arrêts sur l'interprétation de cette notion de communication au public, considérant qu'il y a communication au public dès lors qu'une œuvre est diffusée au public.

En ce qui concerne la définition du « public », si la CJUE a retenu dans un premier temps « un ensemble de personnes présentes dans un même endroit au même moment », elle s'est rapidement rendu compte que cela convenait mal aux problématiques liées à la télédiffusion et à l'Internet. Par conséquent, dans une série d'arrêts, la CJUE est venue préciser la définition du public, considérant progressivement que constitue un public les clients d'un hôtel, quand bien même ils seraient dans un espace privé, puis ajoutant par la suite le critère du public nouveau distinct de celui pour lequel l'auteur aurait donné son consentement (CJUE 27 février 2014).

Le lien hypertexte comme atteinte au droit d'auteur

La CJUE considère que le lien hypertexte est en soi un acte de communication. Cependant, pour qu'il y ait une communication au public, cet acte de communication doit être communiqué selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu'alors utilisés ou, à défaut, s'adresser à un public nouveau. S'il y a communication au public, le poseur des hyperliens devra demander l'autorisation de l'auteur de l'œuvre auquel le lien renvoie (CJUE, 13 février 2014 « Svensson »).

La même solution est retenue dans le cas du framing dans un arrêt du 21 octobre de la CJUE « Bestwater » dans lequel la CJUE considère que l'utilisation d'une technique de framing ne change en rien la solution à partir du moment où il n'y a pas de communication à un public nouveau et que le même mode technique HTML est utilisé.

Enfin, dans un arrêt du 8 septembre 2016 « GS Média », la CJUE apporte une dernière précision : placer, sur un site web, un lien hypertexte qui renvoie vers un site tiers qui publie des œuvres protégées sans autorisation constitue un acte de communication au public - et donc potentiellement une contrefaçon - si le poseur de lien a connaissance que ces œuvres ont été publiées sans autorisation. Et si le lien est fourni dans un but lucratif, cette connaissance de l'illégalité de la publication doit être présumée.

Pour résumer :

  • Il est possible d'apposer, sans but lucratif, un lien permettant d'accéder à une œuvre protégée qui est librement accessible sur Internet avec le consentement du titulaire du droit.
  • Il est possible d'apposer, avec un but lucratif, un lien permettant d'accéder à une œuvre protégée qui est librement accessible sur Internet avec le consentement du titulaire du droit.
  • Il est possible d'apposer, sans but lucratif, un lien permettant d'accéder à une œuvre protégée qui est librement accessible sur Internet, sans le consentement du titulaire des droits, du fait que l'absence de but lucratif permet de présumer ce qui arrive le plus souvent, c'est-à-dire l'absence de connaissance, et donc d'échapper à toute responsabilité pour violation du droit de communication au public.
  • Il est impossible d'apposer, dans un but lucratif ou non, un lien permettant d'accéder à une œuvre protégée qui n'est pas accessible sur Internet.

 


Fig. 1. Source : Liens hypertexte et droit d'auteur : à la rencontre de la troisième voie, La Semaine Juridique
Edition Générale n° 46, 14 Novembre 2016, 1222 – Laure Marino.

 

La protection par le droit de la concurrence

En plus de la protection par le droit d'auteur se pose la question de la protection par le droit de la concurrence.

Un lien hypertexte peut constituer un acte de concurrence déloyale s'il est de nature à créer un risque de confusion ou de dénigrement des produits, marque ou image d'une autre société.

En ce qui concerne le dénigrement, pratique qui consiste à discréditer une entreprise concurrente, la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 19 septembre 2001 a condamné l'éditeur de la société Europe 2 Communication pour avoir mis en place un lien hypertexte renvoyant vers un site « anti -NRJ » dénigrant. La Cour d'appel a en effet considéré « qu'en reproduisant la mention “anti-NRJ” dans son propre site et en créant de manière délibérée un lien hypertexte avec la page d'un site suédois comportant la reproduction de la marque figurative n° 1.206.811 et un texte dénigrant les prestations de la radio NRJ, la société Europe 2 Communication a commis des actes de contrefaçon de marque aux dépens de Jean-Paul B., lesquels sont constitutifs de concurrence déloyale à l'encontre de la société NRJ, et des actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale aux dépens de la société NRJ ».

De même, en ce qui concerne le risque de confusion, la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 17 octobre 2007 a considéré que le fait d'utiliser le nom du dirigeant d'un concurrent dans un lien web pour promouvoir ses produits a nécessairement généré une confusion dans l'esprit des internautes et constitue de ce fait un acte de concurrence déloyale.

Peut-on obliger un tiers à mettre un lien vers un site ?

Il n'existe pas d'obligation « légale » ou « jurisprudentielle » obligeant un tiers à intégrer un lien hypertexte au sein de son site, sauf certaines dispositions extrêmement rares. Par exemple, le code de la consommation précise qu'un consommateur doit être informé de l'existence du service Bloctel, la jurisprudence précisant qu'il est préconisé de mettre en place un lien vers ce site.

En d'autres termes, l'obligation de mettre en place un lien n'existe que dans un cadre contractuel, qu'à la suite d'un accord.

En cas de transaction

Il peut arriver qu'un tiers mette en place un lien en violation des droits d'un tiers et qu'après discussion, l'éditeur préfère sceller un accord plutôt que de faire un procès (ce qui est toujours préférable d'ailleurs).

Le recours à un service publicitaire

Dans le cadre d'un recours à un service publicitaire, l'annonceur choisit des mots-clefs auprès d'intermédiaires tels que Google Adsense afin que celui-ci s'occupe de la diffusion d'hyperliens dans les pages web des sites partenaires, les hyperliens renvoyant alors vers le site de l'annonceur.

Dans cette optique, les sites partenaires sont, selon les termes du contrat conclu, dans l'obligation de diffuser les hyperliens renvoyant vers le site de l'annonceur.

Les règles applicables au sein d'un groupe de sociétés

On pourra enfin penser à l'existence de règles applicables au sein d'un groupe de sociétés à l'instar des BCR (« binding corporate rules ») applicables dans le cadre de la protection des données personnelles. Il s'agirait alors de règles applicables à l'ensemble des entités d'un groupe.

Il est donc impossible d’imposer à un tiers de mettre sur son site un lien vers votre source d'informations, alors qu’il est finalement assez aisé de trouver une bonne raison de lui faire retirer. Ca n’est donc pas sur le seul terrain juridique qu’il faut se fonder pour créer des liens avec des tiers, en leur imposant un référencement. En revanche, c’est en connaissant les limites ci-avant exposées qu’on peut mener à bien une négociation d’échanges de liens et de contractualiser pour le bien de tous.


Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)