À notre époque emplie de « fake news », il est parfois difficile de séparer le bon grain de l'ivraie et de se faire une idée de la qualité et de la fiabilité d'une source d'information trouvée dans le monde numérique en général et sur le Web ou les réseaux sociaux, en particulier. Il nous a semblé intéressant de mettre à plat un certain nombre de concepts et d'essayer de comprendre, dans cette série d'articles, comment avancer, d'une manière la plus « scientifique » possible, dans notre approche de l'information et des sources qui la diffusent... dans cette deuxième partie, nous voyons quelques outils et une méthodologie qui peuvent nous aider à contourner les «  fake news  » en qualifiant la source de l'information trouvée.

Par Christophe Deschamps


Nous avons vu le mois dernier qu’être en mesure d’évaluer la qualité d’une information commençait par une prise de conscience de nos propres biais et ancrages psychologiques. Ceux-ci étant d’ailleurs très difficiles à faire évoluer tant ils sont là pour préserver les valeurs constitutives de notre personnalité et du groupe culturel auquel nous nous rattachons, consciemment ou non.

Comme nous l’avons vu, le fait de lire des arguments rationnels ou d’être exposés à des informations d’une autre sensibilité que la nôtre n’est pas une solution efficace. Sommes-nous donc irrattrapables ?

Pas totalement. Gerald Bronner, sociologue et auteur de l’ouvrage « La sociologie des crédules », nous donne deux pistes intéressantes pour commencer à travailler sur nous-mêmes. Elles prennent la forme de deux questions à se poser avant de partager un avis péremptoire sur les réseaux sociaux. La première question est « Qu’est-ce que je sais vraiment sur ce sujet ? ». Elle nous permet d’échapper en partie au biais d’illusion de savoir et de surconfiance en ses connaissances initiales sur un sujet (ce qu’on appelle aussi l’effet Dunning-Kruger). Il s’agit donc de prendre quelques minutes de réflexion et de jeter rapidement sur papier les éléments dont on dispose déjà sur ce sujet afin de mieux mesurer l’étendue de ce que l’on ne connait pas encore. Ce qui est alors paradoxal c’est que notre incompétence dans ce domaine va croître au fur et à mesure que nous commencerons à l’explorer. Ce processus devrait alors nous amener rapidement à la même conclusion que Platon évoquant les hommes qui croient savoir : « j'ai l'air (…) d'être plus sage que celui-là, au moins sur un petit point (…) : que ce que je ne savais pas, je ne croyais pas non plus le savoir ! » (ce qu’exprime aussi Michel Audiard de manière plus triviale…).


Fig. 1. Citation de Michel Audiard tirée du film "Les tontons flingueurs".

La seconde question est « Pourquoi est-ce que j’ai envie que cela soit vrai ? », que l’on peut compléter si nécessaire avec celle-ci : « Pourquoi est-ce je n’ai pas envie que cela soit vrai ? ». Ici c’est notre système de croyances et de valeurs qui est questionné et ce n’est pas toujours confortable, mais ces questions ont pour mérite de nous aider à poser sur papier nos partis-pris et a priori.

Bien entendu, même si la méthode de Gerald Bronner semble simple, elle n’est pas si évidente à mettre en œuvre au jour le jour, et ce pour plusieurs raisons :

  • Nos avis et commentaires péremptoires, notamment sur les réseaux sociaux, sont souvent émis sur des sujets auxquels on ne s’est pas encore vraiment intéressé mais qui nous ont touché émotionnellement parlant et sur lesquels nous avons réagi de manière instinctive, donc avant que l’idée d’un questionnement critique nous vienne à l’esprit…
  • Répondre sur papier aux deux questions ci-dessus nécessite un peu de temps et lorsqu’on lit et retweete le titre d’un article sans aller plus loin, c’est souvent parce qu’un sentiment d’urgence (lié là encore à l’émotion) domine. En même temps il n’y a pas besoin de faire cet exercice à chaque fois, car ce sont toujours les mêmes raisons qui reviennent…
  • Enfin, il faut avoir le courage de remettre en question ses croyances, ne serait-ce qu’en reconnaissant leur existence, et personne n’aime les situations inconfortables…

On peut donc ajouter aux questions de Gerald Bronner une condition préalable et de bon sens. Sorte de « geste barrière informationnel » qui pourrait s’exprimer sous la forme d’un slogan : « Ce titre d’article vous énerve ou vous ravit ? Ne le diffusez, commentez, retweetez, … qu’après une lecture critique de l’article complet ! ». Facile ! (à dire…).

Sources et informations

Méthodologiquement parlant, la première chose à faire est d’établir la distinction entre les sources et les informations qu’elles diffusent. Cela semble évident, mais les deux entretiennent un rapport complexe. Ainsi, une source généralement considérée comme fiable peut parfois publier des informations insuffisamment vérifiées. Il n’y a pas forcément eu volonté d’induire en erreur mais plutôt un manque de temps ou de sérieux de la part des producteurs de l’information.

De fait, on peut dire que les grands titres de presse nous amènent très rapidement à l’effet de halo présenté le mois dernier : leur réputation nous amène à généraliser notre jugement à l’ensemble de leur production, tous journalistes confondus. On associera donc à toute information publiée par telle source, ou à tout journaliste la représentant, la connotation positive ou négative qu’on leur accorde par défaut. Ce qui ne va pas sans poser de questions. Pour caricaturer le problème, on pourrait ainsi se demander si 100% des informations diffusées par Le Monde sont indiscutables parce que c’est Le Monde et si 100% des informations diffusées par Bastamag ou Valeurs Actuelles ne le sont pas parce qu’ils sont ce qu’ils sont... Bien sûr les choses sont plus nuancées que cela et c’est d’ailleurs ce qu’a pu mesurer le Gouvernement lorsqu’il a voulu lancer en mai dernier un espace Désinfox Covid-19 alimenté par les articles provenant de cinq sources « sûres » (AFP, Europe 1, Le Monde, Libération et 20 minutes). Comme le dénonçait alors le représentant du Syndicat national des journalistes, « C'est comme si pour le gouvernement, seuls cinq médias parisiens faisaient correctement leur travail » (source).

Précisons également que dans certains métiers (par exemple la veille stratégique ou le renseignement), le but n’est pas tant d’avoir des sources fiables que de savoir d’où elles parlent afin de mieux décrypter les jeux d’acteurs et de les anticiper.

Il est donc nécessaire de s’intéresser à la fois à la qualification des sources et à la vérification de l’information.

Qualifier les sources d’information

Alors comment qualifier les sources ? On peut dire que les méthodes ne manquent pas et cela revient globalement à se poser ces questions :

  • Qui est la source ?
  • Quelle est son autorité, sa réputation ?
  • Quels sont ses objectifs ?

Si l’on souhaite être exhaustif dans son travail de qualification, chacune d’elles va entrainer des sous-questions que nous présentons ici sous forme d’un tableau :


A propos de la source
Quelles informations récolter ? Où les chercher ? Avec quels outils/méthodologie ?
Qui a créé le site visité ? Nom
Fonction
Coordonnées (tél, email, postale)
Rechercher :
Mentions légales (Siret, RNA ou tout autre identifiant administratif) dans le site ou les bases de données adéquates, par exemple :
https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/repertoire-national-des-associations/
http://sirene.frRubrique « A propos » de la source
Que nous révèle son nom de domaine ? Dates de dépôt et de mise à jour du nom de domaine.

Nom du déposant

Coordonnées (pas toujours)

Situation géographique du serveur

IP Address and Domain Information (extension Chrome et Firefox) très complète :
https://dnslytics.com/browser-extensions-addons-acceleratorsG Suite.Tools :
https://gsuite.tools/traceroute
Quel est son environnement d’hébergement ? Reverse IP : permet de voir si le serveur hébergeant la source héberge éventuellement des sites de jeux en ligne, pornographiques,… IP Address and Domain Information (extension Chrome et Firefox) :
https://dnslytics.com/browser-extensions-addons-acceleratorsIP Neighbour : https://www.ipneighbour.com/
Quels sont les sites qui renvoient vers lui ? Backlinks en tant qu'indicateur de crédibilité NeilPatel Backlinks : https://neilpatel.com/backlinks/

Ahrefs backlinks : https://ahrefs.com/backlink-checker

Quelle est sa réputation ? Services qui calculent un niveau de réputation/confiance à partir de différents indicateurs ScamDoc : service qui évalue la confiance d’une identité numérique (site web, adresse email)
https://www.scamdoc.com/frmyWOT (Web Of Trust) : propose un score de réputation. Disponible pour Chrome et Firefox
https://www.mywot.com/
D’où parle t-il ? Couleur politique

Activisme

Pour les sites de presse : Decodex
https://www.lemonde.fr/verification/
(extension Chrome et Firefox)Pour les autres types de sources pas d’outils spécifique, juste de l’esprit critique… Voir les sources (en ligne ou non) vers lesquelles le site renvoie, les auteurs cités, …

Cela fait évidemment beaucoup de questions à se poser avant de commencer la lecture d’un article…  Pour autant il ne faut pas vouloir être exhaustif à tout prix, certaines de ces vérifications peuvent se faire au fil de la lecture, parce qu’on a un doute ou que l’on souhaite en savoir plus (les extensions de navigateur sont très pratiques pour cela). Par ailleurs n’oublions pas que la pratique régulière des sources fait que nous en avons une connaissance qui n’est pas à reconstruire à chaque fois. On sait bien « où l’on est » selon qu’on parcourt un article du Figaro ou de L’humanité.

Dans le prochain et dernier article cette série, nous verrons donc quelles méthodes utiliser pour valider les informations lues.

Christophe Deschamps, Consultant-formateur : veille stratégique, intelligence économique, social KM, e-réputation, mindmapping, IST (http://www.outilsfroids.net/)