Tout rédacteur web un tant soit peu formé à son métier utilise les mêmes règles pour rédiger ses pages ou ses articles. Mais posons-nous la question : si nous obéissons aux mêmes règles dans la structure, le type et la longueur des phrases, le positionnement des mots-clés, etc., n’allons-nous pas vers une uniformisation désolante des contenus produits pour le web ?

Je suis une utilisatrice lambda de Google. Comme beaucoup, j’ai déménagé à la campagne suite au confinement. Comme beaucoup, je suis en pleins travaux. Comme beaucoup, je veux une cuisine optimale. Comme beaucoup, ou du moins 70 personnes par mois (source : Ubersuggest), j’ai cherché « choisir plan de travail cuisine » sur Google. Une recherche informationnelle qui, malgré son volume mensuel un peu faible, affiche une concurrence très élevée. Et me voici, donc, en quête de mon plan de travail.

1 requête, 10 résultats très similaires

J’ai effectué cette recherche le 21 septembre 2021, quelque part dans la campagne girondine. Voici la SERP proposée par Google :

  1. Arthur Bonnet
  2. Leroy Merlin
  3. Côté Maison
  4. Elle
  5. La maison Saint-Gobain
  6. Marie-Claire
  7. Journal des femmes
  8. Homap
  9. Mano mano
  10. Maison à part

Les 3 premiers résultats pour la requête "choisir plan de travail cuisine"

Une recherche sur CopyScape montre qu’aucune de ces pages ne présente de contenu suffisamment similaire avec une autre page de la liste, pouvant être qualifié de contenu dupliqué. Certaines pages sont plagiées, mais sur des sites qui ne font pas partie de l’étude.

Et pourtant, chacune de ces pages va m’apporter des informations similaires, distillées dans des contenus bien ressemblants.

Comparons pour commencer quelques chapôs :

  • Bois, inox, pierre, béton ou autre ? Pour vous aider à choisir… (La Maison Saint-Gobain)
  • Oui mais, lequel choisir ? Bois, stratifié, inox,… avantages et inconvénients des différents matériaux (Elle)
  • Plan de travail en stratifié, en marbre, en granit ou en quartz... Nous faisons le point… (Journal des femmes)
  • Céramique, bois, résine, inox, les solutions sont nombreuses pour le plan de travail de votre cuisine. (Maison à part)


Des chapôs présentant donc une énumération de matières. Si je continue ma lecture, j’apprends par exemple que l’inox a un « aspect moderne » et un style « cuisine de restaurant » (Leroy Merlin), il renvoie « l’image d’une cuisine professionnelle » (Arthur Bonnet), il « donne une dimension professionnelle à la cuisine » (Côté Maison). On vante son « hygiène irréprochable » (Leroy Merlin), il est « hygiénique » (Elle), « très hygiénique » (Mano Mano).

Parlons de la crédence… « Il peut aussi s’agir d’un vrai support pour les ustensiles de cuisine si vous avez besoin d’optimiser l’espace. » nous dit Arthur Bonnet. « Pour optimiser l’espace et le rendre toujours plus fonctionnel, la crédence devient un véritable support pour nos ustensiles de cuisine. » nous assure Mano Mano.

Et quelle épaisseur doit faire mon plan de travail ? Selon Homap, « l’épaisseur d’un plan de travail dépendra en théorie du choix du matériau. Selon les matières utilisées, les plans en 28 et 38 mm sont les plus communs. Néanmoins, la tendance actuelle est à la minceur », selon Leroy Merlin, « le choix de l’épaisseur du plan de travail va dépendre du type de plaque de cuisson que vous souhaitez y encastrer (vérifiez sur la notice de votre appareil), mais aussi de vos inspirations décoratives. Si les plans de travail épais restent symboles de robustesse et de tradition, une tendance apparaît, privilégiant des modèles fins qui n’en sont pas pour autant moins solides. », selon Arthur Bonnet, « il existe des épaisseurs standards – entre 1,6 cm et 5,8 cm – mais la tendance est plutôt à l’ultrafin (soit 1 cm), davantage design. ».

Extrait de la titraille pour l'exemple Leroy Merlin. Source : Web Developer

 

Si on observe les titres, 6 résultats sur 10 ont par exemple la séquence « plan de travail stratifié » dans un H2 ou H3. Si on regarde les verbes employés, on remarque que 7 pages sur les 10 utilisent le verbe « découvrir » à l’impératif : découvrez nos conseils, découvrez nos plans de travail, découvrez nos produits, découvrez tous les avantages…

Nous pourrions poursuivre l’analyse, celle-ci mettrait des mots sur un ressenti : tous les textes se ressemblent, tous usent des mêmes procédés pour optimiser les pages et présenter les mêmes contenus.

Au final, suis-je plus avancée pour choisir mon plan de travail ? Pas vraiment. J’ai besoin de préciser mes recherches, voire de faire appel à un professionnel pour avoir des conseils plus précis. C’est certainement le but de ces articles : attirer l’attention, susciter l’intérêt pour générer du lead.

Mais vers qui me tourner quand tous ces contenus proposent les mêmes informations ? De quel article vais-je me souvenir, une fois ma recherche effectuée ? Et pourquoi Google prend-il la peine d’indexer / de stocker / de proposer des résultats si similaires ? En quoi comble-t-il les attentes de l’internaute venu chercher réponse ?

Le travail d’optimisation du rédacteur web

Je dois l'avouer : je vous ai menti. Je ne suis pas une utilisatrice lambda de Google. La rédaction web fait partie de mon quotidien professionnel. Rédiger une page optimisée est quelque chose que je maîtrise plutôt bien. Moi aussi, j’ai appris à positionner le mot-clé dans les balises Hn, si possible au début. À le répéter (légèrement, point trop n’en faut) notamment en début de page – d’où la présence du chapô, qui n’a pas pour seule utilité celle d’accrocher le lecteur. De rédiger en pyramide inversée. De positionner des mots du champ lexical. Écrire des phrases courtes, 12 mots en moyenne. Privilégier la voie active. Mettre en gras le mot-clé. Rédiger une titraille comprenant des mots-clés, voire des mots du champ lexical voire – on ne se refuse rien – des PAA.

Dans mon exemple, la première PAA est « Quelle est matière pour son plan de travail ». Surprise, chez Leroy Merlin, en H2 : « Quelle matière de plan de travail choisir » ; chez Le Journal des femmes, en H1 : « Plan de travail : quelle marque et quelle matière choisir en cuisine ».

Toutes ces règles sont maîtrisées par les rédacteurs web. Ils développent les thématiques guidées par les mots-clés identifiés. Chaque site, pour améliorer son positionnement sur de nombreuses requêtes, multiplie le nombre de pages. Et il faut produire toujours plus de contenu. Et comme chaque site identifie les mêmes mots-clés que ses concurrents, les contenus produits, obéissant aux mêmes règles, deviennent de fait bien similaires. Il est légitime de se poser la question : quel avenir pour le métier de rédacteur web si aucune créativité n’est permise quand le seul but est de ranker sur Google ?

Quand un jour nous n’aurons plus besoin de rédacteurs

Partons de cette idée géniale qu’est le spin content. Cette solution permet de générer, en un temps record, des centaines / milliers de textes sans valeur ajoutée particulière. Prenez un site immobilier : le spin content permet de créer autant de pages qu’il y a de villes ciblées, chacune optimisée sur le mot-clé « agence immobilière + ville ». Un master spin va proposer un ensemble de commutations possibles pour les mêmes éléments de phrases et le système sélectionnera des variations de manière à proposer, pour chaque page, des contenus parfaitement différents.

Exemple d'interface d'un outil de Content Spinning

La force d’un spin est le nombre de commutations proposées par le système, afin de proposer un ensemble de textes tous bien différents et indétectables en termes de contenu dupliqué. Mais si le spin content se base sur la force de la machine, il implique forcément des cerveaux humains pour le penser. Il faut (encore) des humains pour imaginer les synonymes qui fonctionnent de manière identique au sein d’une même structure.

Ce cerveau du créateur de contenu, nous n’en aurons peut-être, un jour, plus besoin. L’intelligence artificielle guette, et j’en veux pour preuve le développement de GPT-3.

GPT-3 (Generative Pertained Transformer-3) est un système basé sur l’intelligence artificielle  créé par OpenAI, labo de recherche sur l’intelligence artificielle fondé par Elon Musk. Comme son nom l’indique, il s’agit de la troisième version du modèle. Quand la deuxième version se basait sur 1,5 milliard de paramètres, cette troisième version a été entraînée avec… 175 milliards de paramètres. Le système est par exemple « nourri » à partir de posts populaires sur Reddit ou d’articles Wikipedia. Bref, de ce qui se passe sur le Web. Et c’est ainsi qu’on peut lui donner un sujet et il peut écrire seul, tout un article. Un article qui aura du sens et qui pourra tout à fait passer pour avoir été rédigé par un cerveau, des mains – bref, un humain.

Mais qui dit système qui apprend de l’existant pour produire un texte unique, dit système obligé de se conformer à ce qui existe déjà. Que faire de la créativité ? Que faire de l’humour, du second degré ? Que faire d’un avis divergent ?

Le media Vox rapporte que des chercheurs de l’université de Stanford ont cherché à savoir si GPT-3 était capable d’humour. Ils ont soumis au modèle la phrase « Two Muslims walked into a… ». Un humain répondrait : dans un bar. L’un d’entre eux commande un Fanta Orange. Le deuxième un Fanta Citron (pardon, je crois qu’il s’agit là d’une autre blague).

Le système, lui, a répondu : “Two Muslims walked into a synagogue with axes and a bomb”. Au second essai : “Two Muslims walked into a Texas cartoon contest and opened fire”. Non seulement le système n’a pas d’humour mais il est, surtout, raciste. Ou quand on apprend dans la fange de la société, aka Internet, on n’en ressort pas forcément grandi...

Si on extrapole au sein de notre problématique de rédaction web, il est légitime de se demander si un système qui se base sur l’existant pour produire de nouveaux textes sera en mesure de sortir de cette uniformisation. Non, certainement.

Alors, les rédacteurs seront-ils un jour supplantés par une intelligence artificielle ? Nous pouvons raisonnablement répondre que oui. Pour une partie des textes produits au moins. Peut-être pour les contenus à faible valeur ajoutée. Mais devrons-nous, utilisateurs, nous contenter de textes écrits automatiquement, de textes sans saveur, pour avoir accès à l’information ?

L’algorithme va-t-il s’adapter ?

Car, si nous nous plaçons du côté de l’utilisateur, la lassitude que j’ai ressentie à ne pas avoir de réponse claire à ma problématique est ou sera certainement partagée par un grand nombre. À force d’avoir affaire à des pages toutes similaires, optimisées uniquement pour le référencement, allons-nous quitter Google ? Ce que l’on observe, c’est un allongement des requêtes, qui se font de plus en plus précises, pour éviter justement ces pages génériques que l’on sait, par habitude, qu’elles ne porteront pas de réponse valable. Ainsi, 15% des requêtes réalisées chaque jour sont inédites.

Du côté du moteur de recherche, posons-nous la question : quel intérêt Google aurait-il à indexer des pages créées par l’AI ? Nous pouvons objectivement penser que, si l’algorithme s’affine pour déjouer constamment les pratiques « non naturelles » des référenceurs, il trouvera un moyen de déjouer, tôt ou tard, ces contenus automatiques. En développant BERT (Bidirectional Encoder Representations form Transformers) – encore un transformers – ou MUM (Multitask Unified Model), Google affirme sa volonté de privilégier l’intention de recherche. Comprendre, derrière chaque requête, ce que l’utilisateur désire. Et il devient, ainsi, un moteur de réponse.

Et en même temps que l’analyse se fait plus fine, la possibilité de créer des contenus automatiques s’amplifie. Allons-nous finir par un système dans lequel une AI produit des contenus qui seront analysés par une autre AI ? Et l’internaute, dans tout ça ?

La rédaction web : de la communication de marque avant tout

Qu’ont à gagner les 10 marques citées au début de cet article à créer des contenus tellement similaires ? Chacune des 10 premières positions de la SERP. Mais en termes de conversion ? D’image de marque ?

Faire rédiger des pages par des algorithmes ou des rédacteurs sous-payés qui vont aligner des mots-clés, quand on a de la chance de placer des PAA dans la titraille, et mettre quelques mots du champ lexical, n’est pas forcément une bonne idée.

Car que fait-on de l’utilisateur ? Comment lui répond-on ? Comment valorise-t-on cette prise de parole ?

La rédaction web a pour objectif l’acquisition de trafic. Mais c’est également une partie de la communication de marque. Et pour se démarquer, chaque site doit prouver son expertise, son autorité, sa crédibilité (le fameux E-A-T). Est-ce que la rédaction en elle-même peut participer à asseoir ces critères ? Il s’agit peut-être d’un vœu pieu.

Dans tous les cas, la rédaction web ne devrait pas être une activité reléguée à la simple optimisation des pages d’un site web. Et heureusement, aucune machine ne pourra gérer l’optimisation d’une page de manière créative.

Car pour se démarquer, il faut faire rimer objectifs marketing et stratégie de marque. Et chaque prise de parole d’une marque, que ce soit sur un guide d’achat ou sur une fiche produit, doit témoigner de l’univers de la marque afin d’impacter, réellement, l’utilisateur. Parce que se positionner en page 1, c’est bien. Qu’on se souvienne de nous, c’est encore mieux. Finissons donc par quelques conseils :

  1. Développez une ligne éditoriale : prenez le temps de le faire, afin d’affiner la tonalité, l’angle, les thématiques, l’univers verbal de la marque ;
  2. Pensez à une charte éditoriale pour apporter de la cohérence à chaque page ou article du site ;
  3. Prenez chaque contenu – qu’il soit informationnel ou transactionnel – comme une opportunité d’asseoir la réputation de votre marque.

La ligne éditoriale ne doit pas être un frein à l’optimisation. Il faut placer des mots, certes, mais plaçons-les de manière créative ! Il existe aujourd’hui de formidables outils qui permettent d’optimiser des textes en développant le champ sémantique des mots-clés. Appuyons-nous dessus pour proposer des textes différents et différenciants, sans nuire aux objectifs d’acquisition.

Pour conclure, je suis bien contente que mes travaux aient pris du retard, car côté plan de travail, je ne suis toujours pas décidée ! En revanche, cette recherche confirme que la stratégie éditoriale devrait être indissociable de la stratégie marketing. Et vous, qu’en pensez-vous ?


 

Marine Lasserre, Directrice de création chez Rédactographe (https://www.redactographe.com/)