En ces temps de campagnes présidentielles, on voit fleurir dans chaque coin du Web invectives, insultes ou fausses rumeurs. Mais tout un chacun peut également être «  victime  » d'actions qui pourraient être assimilées à de la diffamation (et pouvant donc faire l'objet d'une procédure de droit à l'oubli sur Google). Qu'en est-il exactement ? Quels termes éviter dans vos textes si vous ne voulez pas vous voir assigné en justice lorsque vous désirez expliciter votre mécontentement ? Ce n'est pas si simple. Explications...

Par Alexandre Diehl


En ces temps complexes d’élections, de mensonges et de diffamation, il sera hélas fréquent de voir et de lire de nombreux propos litigieux sur Internet. Afin d’éviter de créer, relayer ou diffuser des propos diffamants ou injurieux, il est important de rappeler les principes généraux à toujours respecter et quels sont les termes à éviter. Il est également fondamental de souligner que si les auteurs de tels propos sont principalement concernés, tout l’écosystème doit en tenir compte car les notions de co-auteur et de complicité ont été fortement renforcées notamment par la récente circulaire Taubira.

Les principes directeurs et voisins de la diffamation

La diffamation est un délit de presse. En d’autres termes, elle n’existe que sur un support, par exemple, un journal, un site web ou à la télévision, mais également dans le cadre de réunions publiques ou dans la rue.

C’est la fameuse loi du 29 juillet 1881 qui régit les délits de presse. Aux termes de l’article 29 de cette lo,i est une diffamation « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». L’injure est une « expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ».

La peine est une amende de 12 000 €, mais, si la diffamation ou l’injure est à faite « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou « à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap », alors le délit est puni d’un an de prison et de 45 000 € d’amende.

En d’autres termes, dans le cadre de la diffamation ou de l’injure, l'intention coupable est présumée, c'est-à-dire que l'auteur des propos aura à charge de prouver sa bonne foi. Pour cela il devra réunir quatre conditions :

  • La sincérité (le diffamateur croyait vrai le fait diffamatoire) ;
  • la poursuite d'un but légitime (le souci d'informer et non de nuire) ;
  • la proportionnalité du but poursuivi ;
  • du dommage causé et le souci d'une certaine prudence.

Ainsi, contrairement à ce que la très grande majorité croit, il ne suffit pas de prouver que le fait allégué était vrai pour être disculpé, mais bien de réunir ces 4 conditions.

L’action en diffamation ou en injure se prescrit par 3 mois à compter de la première diffusion. Toutefois, dans le cadre du quinquennat actuel, le Gouvernement a fait préciser que la prescription recommençait à chaque fois que le site / blog est réactivé. De plus, la circulaire Taubira qui préconisait aux juges une réelle tolérance dans le cadre de la fixation des peines pour la grande majorité des crimes et délits, soulignait, au contraire, l’importance d’être extrêmement sévère pour les délits de presse pour ce qui concerne l’atteinte aux personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.

Le dénigrement est une autre incrimination, mais qui n’est pas d’ordre pénal mais d’ordre civil (article 1240 du code civil). Celle-ci est plus largement acceptée lorsque les propos visent des produits ou des services et offre une utilisation plus souple que celle de la diffamation. L'action en dénigrement implique, pour l'auteur des propos dénigrants, une volonté de porter atteinte à la concurrence ou à la « victime ». L'action en dénigrement offre une prescription de 10 ans.

Exemples de termes à éviter

Hors les cas « politiques » ou « médiatiques », les juges sont généralement souples dans le cadre de l’appréciation du délit. En effet, le principe fondateur de la démocratie reposant notamment sur la liberté d’expression induit que tout un chacun peut, dans les limites définies par la loi, s’exprimer sur tout sujet. Le fait diffamatoire doit se présenter sous la forme d'une « articulation précise de faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire » (Cass. crim., 3 déc. 1963). A ce titre, la Cour de cassation demande que l’interprétation soit restrictive (et donc, en faveur de la personne « poursuivie » pour diffamation) et que la détermination d’un fait précis soit rigoureuse. Ainsi, l'exigence d'un fait pouvant faire l'objet d'un débat sur la preuve du fait précis exclut les opinions, les jugements de valeur.

Ainsi, de nombreuses jurisprudences ont estimé qu’un fait trop général ou relevant du jugement de valeur ne saurait être qualifié comme constitutif de la diffamation :

  • Des dessins et légendes relatifs à un pélerinage intégriste, qualifiant les pélerins de « nazis en culottes courtes », de « nazillons polonais » et comparant leur procession à un défilé militaire nazi, n'imputent pas aux personnes visées des faits ou des agissements précis, notamment l'appartenance sous l'occupation à des organisations nazis, les termes de « nazis » ou de « nazillons » utilisés par l'auteur de l'article, ne constituent pas une diffamation (Cass. crim., 29 janv. 1998, no 95-83.763) ;
  • Les commentaires d'un journaliste sur la politique sociale de son ancien employeur et sur la qualité professionnelle de son successeur expriment son opinion personnelle exclusive de tout fait précis de même que l'emploi des expressions « grand manitou » et « caniche aux ordres du maître des lieux » qui n'excèdent pas les limites en matière de liberté d'expression, à l'occasion d'une polémique à laquelle le demandeur ne serait pas demeuré étranger (TGI Paris, 17e ch. civ., 30 janv. 2002) ;
  • Les propos diffusés au cours d'une assemblée générale de société selon lesquels « les anomalies de gestion ont une odeur de collusion suffisamment répulsive » n'excèdent pas le libre droit de critique d'un actionnaire minoritaire sur un acte de gestion effectué par les actionnaires majoritaires de la société (Cass. 2e civ., 13 mai 2004) ;
  • Les termes « bidon » et « intox » utilisés par un magazine pour qualifier une émission de télévision expriment en langage courant, l'opinion qui s'en dégage et signifient simplement que l'émission télévisée critiquée présente des informations erronées non vérifiées et trompeuses ; ils ne dépassent pas la libre critique admissible, contrairement à l'analyse de la Cour d'appel, qui avait estimé que de telles allégations étaient synonymes de bluff, mensonge ou simulation, et donc de malhonnêteté intellectuelle (Cass. crim., 28 janv. 2010).

Les exemples de commentaires ou posts particulièrement acides sur les forums, surtout pour qualifier les banques ou assurances, pullulent également en jurisprudence. Des posts sur un forum comme : « Européenne De Protection Juridique est un partenaire médiocre et malhonnête à fuir comme la peste. Je me suis fait arnaquer et escroquer » ; « Je me suis fait arnaquer en beauté pour un problème, trivial, de réparation de chauffage ou je demandais à EPJ de lancer une procédure en référé (...). J’ai attendu 1 MOIS 1/2 pour avoir une réponse, un refus, qui n’était pas ce que je demandais » ; « En conclusion, si vous ne voulez pas vous faire arnaquer et les financer pour faire un travail qu’ils ne feront jamais, n‘allez jamais chez EPJ (GENERALI) » ; « C’est une bande d’arnaqueurs et d’escrocs, très peu enclins à faire leur travail comme défini dans le contrat qui vous liera à eux » ; « Je dois encore me servir des arnaqueurs pendant un moment vu que j’ai des affaires en cours » etc., ont été validés par le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a refusé la qualification de diffamation aux motifs que :

  • « Quand il estime qu’il s’est fait "arnaquer et escroquer", le prévenu fait référence de manière subjective au manque de diligence et d’efficacité de celui-ci et non à de quelconques infractions pénales qui auraient pu être commises par la personne morale. Ces propos ne contiennent donc que la critique, particulièrement vive, des prestations fournies par EPJ.
  • Lorsque Julien A. emploie les termes "partenaire médiocre et malhonnête", "médiocre prestataire", "arnaqueurs" et "lamentable", il n’impute à la société aucun fait précis ; si ces expressions sont susceptibles de caractériser des injures, celles-ci ne peuvent être absorbées par une diffamation qui n’existe pas dans le reste des messages. »

(Tribunal de grande instance de Paris, 13/02/2014, http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4170).

Autres exemples :

  • Un blog sur Tumblr « Comment Ulyces m’a entubé » où un actionnaire explique son désaccord avec un autre actionnaire. Le terme « entubé » n’a pas été qualifié de « diffamation » par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris qui a estimé qu’il ne renvoyait pas nécessairement à un concept d’escroquerie ou associé (Ord. TGI Paris, 8 octobre 2014) ;
  • Un post sur Facebook « le genre de site www.sauvermonpermis.com est une pure tromperie et vous perdrez votre argent et votre temps ; aucun avocat n’a le droit d’apporter son concours à ce type de commerce illicite et surtout, ce type de société commerciale ne pourra jamais vous orienter vers un véritable spécialiste du droit routier… Fuyez l’arnaque » a été relaxé par le tribunal correction de Marseille car le post ne vise pas « un fait précis et déterminé susceptible de porter atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile mais portent sur l’appréciation générale des services et prestations fournis, via son site internet, par la partie civile ». (TGI Marseille, 29 /11/2016 - https://www.legalis.net/jurisprudences/tgi-de-marseille-11a-ch-coll-jugement-correctionnel-du-29-novembre-2016/) ;
  • Un article sur un site people intitulé « Une candidate de téléréalité teint son chat en rose, il meurt d’une intoxication » et reprend, en détail, comment ce chat est mort, a été sanctionné par le Tribunal de Grande Instance de Paris car les faits sont précis (TGI Paris, 11 mai 2016 - https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-paris-17eme-ch-civ-jugement-du-11-mai-2016/) ;
  • Un blogueur avait qualifié un site de voyage en ligne « d'escroquerie ». Le Tribunal de Grande Instance de Paris a jugé qu'il poursuivait un but légitime de contestation et a donc rejeté la qualification de diffamation. (Tribunal de Grande Instance Paris, 26 nov. 2007).

Ces quelques jurisprudences démontrent qu’en réalité, l’appréciation judiciaire repose avant tout sur :

  • La précision de faits spécifiques ou non, et la qualification juridique de certains termes employés : utiliser le mot « escroquer » renvoie à une définition juridique précise qui peut entrainer la qualification de diffamation, alors qu’un terme similaire mais non juridique (« je me suis fait avoir » ou équivalent), non ;
  • La subjectivité du juge, le contexte tel qu’apprécié. La justice reste humaine (pour l’instant) et une situation sera tranchée différemment entre deux magistrats.

En toutes hypothèses, il est très important de bien conserver à l’esprit que c’est l’auteur du texte concerné qui peut être poursuivi pour diffamation ou injure. En revanche, les nombreux acteurs (par exemple, les hébergeurs) peuvent être poursuivis s’ils ne déréférencent pas rapidement un contenu manifestement illicite au moment de la réception d’une mise en demeure (article 6 de la loi du 21 juin 2004). A ce titre, ces hébergeurs doivent absolument avoir une opinion juridique sur le contenu concerné afin de ne pas être reconnus coupables de ne pas avoir mis hors ligne ces contenus diffamants.


Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)