Les assistants vocaux comme Google Home, Amazon Echo ou Apple Homepod ont certainement un bel avenir devant eux. Pourtant, il ne faut pas oublier qu'ils soulèvent de nombreuses questions juridiques, et pas des moindres : de l'écoute de notre quotidien en tâche de fond à la mention d'un seul résultat (perdant ainsi la pluralité des possibilités originelle d'un moteur de recherche), les constructeurs de ces outils devront certainement revoir leur copie prochainement pour tenir compte de nos lois. Un aspect qu'ils semblent avoir oublié pour la plupart...

Par Alexandre Diehl


Les assistants vocaux sont ces haut-parleurs équipés d’applications vocales, tels que Echo (Amazon), Google Home ou HomePod (Apple). Ces assistants ont une apparence attrayante et sont vendus pour répondre aux questions des humains. Notre domaine du SEO est directement impacté par ces nouveaux usages dans la mesure où ils modifient très profondément le métier de référenceur et même les rapports entre les utilisateurs et l’objet de la recherche. Comment le droit va-t-il encadrer et régir ces appareils et utilisations ? Comment les opérateurs (Apple, Google, Amazon & co) vont-ils se comporter ?

Présentation des fonctionnalités principales des assistants vocaux

Ces appareils ont vocation à faire entrer dans les foyers les interfaces vocales homme-machine, bien évidemment dans un but mercantile. Google Home est commercialisé en France depuis aout 2017, soit seulement 2 mois à ce jour, et nous attendons encore Echo (et toute sa gamme) d’Amazon (qui est pourtant commercialisé en Allemagne et au Royaume-Uni) et Homepod en France.

Le site Abondance a eu l’occasion de présenter, dans quatre vidéos, les aspects qui fonctionnent, ceux qui sont fun, les fonctionnalités qui marchent moins bien ou pas du tout, etc. Ces vidéos démontrent les points positifs et négatifs de cet outil, mais soulignent surtout qu’en l’état, il s’agit surtout d’une promesse de futures potentialités…

A ce stade de notre réflexion et sans préjudice de futurs développements, synthétisons les principaux aspects qui nous semblent importants :

  • Google Home a une fonctionnalité conversationnelle qui repose principalement sur du machine learning et plus précisément sur Google Rankbrain. L’excellent article d’Anthony Techer dans la Lettre du mois de Septembre décrit bien les aspects techniques et fonctionnels de cet algorithme ;
  • De manière plus générale, les assistants répondent à des questions générales par des réponses issues de contenus déjà qualifiés et de qualité. A ce titre, les expériences d’Olivier dans ses vidéos sont sans appel : à une question technique mais directe, Google Home est allé puiser sa réponse dans Wikipédia ;
  • De la même manière, les assistants ont tendance à répondre de manière fermée à des questions spécifiques. Idem, quand Olivier demande à Google Home de lui trouver un restaurant, l’appareil ne propose pas dix résultats ou ne demande pas plus de précision pour qualifier plus encore la question, mais ne propose qu’un seul établissement (localisé assez loin dans l’exemple de la vidéo).

Nous estimons que c’est ce dernier point qui est aujourd’hui le plus sensible et qu’il est nécessaire d’étudier plus en avant.

En effet, dès lors que l’assistant vocal n’est pas couplé à un écran (avec les avantages que nous connaissons actuellement, notamment en termes de présentation des résultats), il ne peut répondre que de manière courte et précise à la question. Ainsi, cet assistant vocal a mécaniquement vocation à devenir une « boite de vérité » en ne proposant pas, mais en imposant des choix.

Mais comment est déterminé ce choix, comment est définie cette réponse ?

C’est principalement sous cet angle que nous proposons d’avoir une réflexion juridique dans le cadre du présent article.

Quelles sont les réponses juridiques ?

Les conceptions latines du droit, d’inspiration romaine et de philosophie helléniste, sont les mieux placées pour régir d’ores et déjà ces appareils et usages. En effet, les droits latins ont des principes généraux, d’inspiration religieuse et/ou philosophique, qui s’appliquent à toutes les situations. Comme nous le soulignons souvent dans cette Lettre, les droits latins, dont le droit français, ne peuvent pas connaitre de « vide juridique ». La notion de « vide juridique » est propre aux droits anglo-saxons. En conséquence, il existe toujours en France une réponse (parfois insatisfaisante certes) juridique à une situation.

Dans le cas des applications vocales, le principal souci sera la définition et gestion unilatérale et unique de la réponse, de l’information, de la fourniture de renseignement d’ordre médical, juridique, architectural, etc…

Concurrence

Si la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 promulgue la liberté du commerce (et d’ailleurs, interdit toute concentration économique ou corporatisme, comme le compagnonnage), le droit a développé au sortir de la Révolution un système juridique libéral mais encadré.

A ce titre, les démocraties ont développé au XXème siècle le concept de droit de la concurrence qui limite les effets de la « mauvaise concurrence ». Aujourd’hui, la notion d’abus de position dominante est régie par l’article 82 du Traité CE lequel dispose qu’« est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. ».

Marché

Pour que le droit de la concurrence s’applique, il faut un « marché » pertinent.

La notion de marché a une dimension géographique et une composante matérielle, fondée sur la notion de substituabilité de produits ou services. Le marché pertinent, ou marché de référence, est défini comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande de produits et de services qui sont considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux. La substituabilité est établie lorsque l'on peut raisonnablement penser que les demandeurs ou les utilisateurs considèrent les biens ou les services comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande.

Quel serait alors le marché ici ? Celui de la recherche par le biais d’applications vocales ? Ce marché nous semble pertinent, mais il faut qu’il réponde au critère suivant : est-ce que les utilisateurs verront dans ces boxes et la recherche vocale un outil différent et non substituable à la recherche (même vocale) sur leur téléphone ou PC ? Si la réponse est oui, alors nous pourrons envisager qu’il s’agit d’un marché pertinent et donc, appliquer les règles du droit de la concurrence.

Position dominante

Un seul des acteurs concernés ne saurait, à ce jour, avoir une position dominante. En effet, le marché n’est pas suffisamment structuré pour pouvoir répondre aux critères posés par la jurisprudence, mais force est de constater qu’il est probable que les opérateurs (Amazon, Google et Apple, en attendant les autres) adoptent des comportements similaires, dans leurs propres intérêts.

C’est dans ces conditions que nous pourrons alors appliquer la théorie de la position dominante collective conçue à partir de l'article 82 du Traité CE. Cette théorie définit la position dominante collective comme un instrument de contrôle fonctionnel des comportements et des structures. Le Tribunal de Première Instance des Communautés européennes a, dans un arrêt « Airtours » du 6 juin 2002, dégagé trois critères à étudier, à savoir :

  • la structure oligopolistique et la transparence du marché concerné ;
  • la possibilité d’exercer des représailles sur les entreprises déviant de la ligne d’action commune ;
  • la non contestabilité du marché ou l'absence de compétition potentielle. 

Deux semaines après cette décision, le Tribunal de Première Instance des Communautés européennes a adopté une nouvelle position, en considérant que l’existence d’une position dominante collective pouvait non seulement être établie directement par la démonstration de la réunion des trois conditions cumulatives exigées par la jurisprudence Airtours, mais aussi indirectement sur la base d’un ensemble d’indices et d’éléments de preuve relatifs aux signes, manifestations et phénomènes inhérents à la présence d’une position dominante collective (TPICE, T-464/04, 13 juillet 2006, Impala/Sony BMG). Aux termes d’une vieille décision du 28 juin 2006, le Conseil de la concurrence a fait une application traditionnelle de la notion de position dominante collective, en rappelant que la preuve de l’existence d’une position dominante collective peut être apportée soit conformément aux critères de l’arrêt Airtours, soit par l’examen de l’existence de liens ou facteurs de corrélation juridiques existants entre les entreprises, tels que des liens en capital ou encore des accords formalisés entre elles, et de l’adoption d’une ligne commune d’action sur le marché .

Un abus

Le Traité précise : « Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transactions non équitables ;
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ;
c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;
d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

Le Traité de Rome ne définit pas cette exploitation condamnable, se bornant à donner quelques exemples de pratiques abusives, parmi lesquelles on relève le fait d'imposer des prix d'achat, ou de vente, ou d'autres conditions de transaction inéquitables, le fait de limiter la production au préjudice des consommateurs, ou encore le fait d'appliquer des conditions inégales aux partenaires commerciaux.

En réalité, tout comportement d'une entreprise en position dominante peut être qualifié d'abus quand il lui permet de limiter les effets de la concurrence. En effet, la Cour de justice a déclaré que « la notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence » (Arrêt de la Cour du 13 février 1979 / Hoffmann-La Roche & Co. AG contre Commission).

Quel serait ici l’abus ?

Le droit français, comme tous les droits latins, connait un aspect « moral » et comprend des dispositions d’ordre subjectif. Cet aspect permet toujours à un juge français de définir une « faute » ou un « abus » à une situation non définie avant mais « moralement » / « éthiquement » inacceptable.

Dans le cadre de nos recherches sur ordinateur, nous obtenons d’un moteur des résultats, pour une (petite) partie payante et une grande partie « naturelle ». Ces résultats naturels sont issus d’un algorithme qui repose sur des principes certes en partie subjectifs, mais qui offrent in fine de nombreux résultats. Sauf exceptions, seul l’ordre est la résultante de cet algorithme. Aujourd’hui, il est envisagé de ne proposer qu’un seul résultat, limitant ainsi fortement l’écosystème autour des réponses. Est-ce que l’abus ne serait pas de limiter à un seul résultat (c’est-à-dire, à une seule entreprise) et de passer sous silence les centaines / milliers d’autres ?

Est-ce que finalement, l’abus ne serait pas de limiter l’offre ? Nous le pensons…

Confidentialité & GDPR

L’appareil dispose de fonctionnalités importantes d’écoute quand on lui parle, mais également quand on ne lui parle pas. En l’état, bien que nous n’ayons pas l’information, il est probable que l’appareil écoute notre environnement, le son de la TV, les discussions entre nous et de manière générale, toute la vie à la maison. Les opérateurs pourraient alors personnaliser encore plus les publicités, voire (et c’est surement ce point le plus problématique) orienter les réponses « naturelles ».

Cette violation de notre vie privée serait évidemment difficilement acceptée par les utilisateurs qui n’aspirent pas à acheter un espion, mais plutôt un compagnon.

La légalité, la possibilité juridique d’écouter la vie de la maison serait fonction de l’information préalable fournie, de sa qualité, du niveau de détail et de notre consentement.

Le GDPR, qui entre en vigueur au 25 mai 2018, est le texte juridique le plus approprié pour répondre aux interrogations et soucis des utilisateurs. En effet, dès lors que nos données personnelles sont utilisées (par exemple, la voix de chacun dans la maison), ce texte s’applique. Or, il pose déjà les principes suivants :

  • que le « traitement » (ici, le fait d’écouter les gens dans la maison et de personnaliser des résultats en fonction) soit « liceite, loyal et transparent »
  • que les données (ici, par exemple, la voix) soient collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes.

De plus, le GDPR impose le consentement des parents pour les traitements portant sur des enfants de moins de 16 ans (chaque Etat pouvant baisser jusqu’à 13 ans).

En conséquence, les assistants vocaux pourraient effectivement nous « espionner », mais uniquement si l’opérateur (par exemple Google) a, d’une part, précisé clairement les fonctionnalités, les finalités et comment les données sont traitées et, d’autre part, demandé le consentement explicite et libre des utilisateurs. En d’autres termes, l’opérateur serait contraint de préciser clairement que l’appareil écoute les conversations et de demander, de manière autonome et claire (et non pas une case à cocher pour on ne sait pas trop quoi) le consentement des personnes. Commercialement, pas nous ne sommes pas certains que cela incite les éditeurs à le faire….

L’avenir nous dira si l’absence d’écran et donc, l’appauvrissement des réponses ne limitera pas le succès de ces assistants vocaux. Mais si ceux-ci devaient réussir, il est évident que le fait qu’ils ne proposent parfois qu’une seule réponse sera un problème éthique et légal…


Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)