Chaque mois, nous demandons à une personnalité du SEO francophone sa vision du futur de notre métier à une échéance de 5 ans (au-delà on peut imaginer que c'est de la pure science-fiction). Ce mois-ci, c'est Sylvain Peyronnet, à l'origine de nombreux projets autour du SEO depuis près de 20 ans, qui nous donne, en tant qu'amoureux de l'algorithmie, sa vision du futur de ce métier en revenant sur les quelques années qui viennent de s'écouler pour mieux envisager les prochaines...

Par Sylvain Peyronnet


Quand Olivier m'a demandé d'écrire un article prospectif sur l'avenir du SEO, ça m'a d'abord amusé, et ensuite cela m'a beaucoup fait réfléchir. Je vous livre ici quelques unes de ces réflexions, qui bien entendu feront rigoler les personnes qui dans 5 ans reviendront pour se moquer de mon manque de vision... 😉

Comprendre le devin pour comprendre ses prédictions

Avant de vous livrer mes prédictions plus ou moins fantaisistes, il faut que je dévoile un peu mon parcours en tant que SEO ou proche du SEO.
Cela fait maintenant assez longtemps que je fais du SEO puisque mon premier contact avec la nécessité de travailler un site web pour le faire "ranker" date (à la louche) de l'année 2000. Mais c'est, comme pour la plupart des vieux de la vieille du SEO en France, le concours “mangeur de cigogne” qui m'a offert l'occasion de rencontrer d'autres SEOs, et de tout simplement découvrir que le référencement web existait réellement.

A cette époque tout était assez facile, et les moteurs étaient à leurs balbutiements, même si Google était déjà en avance sur les autres. C'est aussi autour de cette époque que je suis devenu enseignant-chercheur, d'abord dans le privé puis dans le public, avec une large partie de mon travail sur des problématiques liées au Web (principalement la mise en place de méthodes de calcul “robuste”, c'est-à-dire la lutte contre le spam).

En environ 15 ans, les moteurs ont évolué de manière très spectaculaire, et cette évolution a naturellement un impact sur les pratiques de référencement. Mon point de vue, et donc mes prédictions, sur le futur du SEO sont par conséquent largement issus de ma vision du futur des moteurs de recherche, à laquelle je participe activement de par mon poste chez Qwant.

C'est l'intention qui compte

5 ans c'est en fait demain, et ce que les moteurs feront de manière à peu près systématique et efficace dans 5 ans, c'est ce qu'ils commencent à faire de manière plus ou moins bonnes depuis quelques années.

Pour moi le game changer des dernières années, c'est l'utilisation de signaux au niveau de l'interaction du moteur avec ses utilisateurs pour le paramétrer différemment selon l'intention exprimée. Ces signaux sont utilisés par un algorithme de machine learning, qu'on appelle de manière générique le learning-to-rank, et qu'on retrouve sous différents noms chez chaque gros moteur.

Peu de gens en ont conscience, mais la première utilisation de ce type d'algorithme par un moteur de recherche fut chez Altavista en 2003, et c'est seulement en 2017 que la technologie est passée dans le “grand public” avec une intégration dans Apache Solr, moteur open-source. La technologie arrive à maturité et rencontre son public, elle va donc s'affiner de manière très forte et sans doute devenir un des leviers principaux sur lesquels les SEOs doivent agir.

Très concrètement, cela veut dire qu'il va falloir travailler par intention, avec une méthodologie à la fois marketing et technique. Marketing, parce qu'il va falloir plus que jamais comprendre qui sont les clients du site que l'on référence, quels sont leurs besoins réels, et comment ils vont les exprimer. Technique, car une fois cette segmentation de la clientèle réalisée, il va falloir comprendre quels sont les leviers que le moteur va associer à chaque type d'intention.

De ce point de vue là, je vais donner un exemple assez simple. Imaginez que vous deviez mettre en avant un site web qui sert de premier point de contact à une clientèle brick-and-mortar : par exemple un site qui permet au (futur) client de se familiariser avec des produits techniques qu'il faut ensuite acheter dans un magasin physique (des voitures sportives par exemple).

Il y a quelques années, on ne se serait pas posé de questions et en faisant feu de tout bois avec du netlinking puissant et du contenu un peu bourrin, la partie était gagnée. L'approche “du futur” est de comprendre l'intention : le futur client s'informe sur les produits. Il va donc falloir des contenus informatifs, dans un champ lexical technique adapté. Les requêtes seront sans doute de la longue traîne liée aux questionnements du futur client (“quel carburant dans le modèle XYZ ?”, “cylindrée XYZ”, etc.) et pas des requêtes génériques (“XYZ”, “voiture XYZ”, etc.). Les signaux que va apprendre le learning-to-rank seront peut-être liés à la technicité du contenu et à son unicité, et donc votre stratégie devra largement travailler le contenu de manière très qualitative, alors que si vous vendiez des écrous antivol pour les mêmes véhicules, le contenu (et son unicité) n'aurait eu aucune importance. Ce qui déterminera votre stratégie SEO dans le futur n'est pas tant votre site que la typologie de vos clients et les requêtes qu'ils formuleront.

La machine tourne en roue libre

Pendant longtemps, les moteurs étaient largement calibrés à la main. D'ailleurs en 2008 chez Google, les chefs tenaient encore ce discours publiquement. 10 ans plus tard, tout est basé sur l'IA ou presque, les filtres tournent en continu, les fluctuations dans les SERPs sont quotidiennes. Ce changement, majeur pour le moteur, est tout autant majeur pour les SEOs.

Tout d'abord parce qu'il contracte le temps : en 2003, on faisait des backlinks, et il fallait attendre la Google dance pour savoir si on avait réussi son coup, maintenant on fait un lien et l'effet est parfois très rapide, à la hausse ou à la baisse. Un SEO sans stratégie bien pensée se retrouve en permanence en mode “réaction” et risque de ne pas vraiment réussir son coup.

Par ailleurs, ce changement a une incidence beaucoup plus complexe : dans le futur, l'adversaire des SEOs ne sera pas les ingénieurs du moteur, mais un modèle de prise de décision automatique paramétré par le comportement des SEOs et du reste du public. Le SEO va donc très largement lutter contre lui-même. La mise en place d'un système s'auto-régulant de cette manière est bénéfique pour le moteur et les utilisateurs “lambda”, mais cela complexifie les relations entre SEOs, car un SEO qui partage les “bons plans” risque tout simplement de les rendre inutile très rapidement.

Les usages se séparent, les SEOs devront suivre

On fait déjà la différence entre plusieurs usages et canaux quand on parle mobile versus desktop, réseaux sociaux versus sites web, Google versus Youtube, etc.  Mais cette différence risque de s'exacerber avec le temps et les nouveaux canaux qui ne vont pas manquer d'apparaître, ne serait-ce que parce que les plus jeunes voudront s'affranchir du modèle technologique de leurs aînés.

Vous lisez cette lettre et peut-être, comme moi, avez vous vu la naissance d'Internet. Mais les plus jeunes ne voient pas les choses comme nous, et pour capter cette clientèle, il va falloir se créer de la visibilité et de la traction sur les nouveaux canaux, qui impliqueront sans doute des pratiques de référencement très différentes.

Prenons le cas des sites avec une notion de feed, comme Facebook, Instagram ou d'une certaine manière Youtube avec une forme de curation automatique. Sur ces sites, le référencement est un autre métier, avec un vrai travail à faire sur la notion d'engagement.

En pratique, ce que je prédis pour les années à venir, c'est que sans prise en compte de l'utilisateur et de son comportement, le SEO ne réussira rien (oh, mais n'aurais-je pas déjà dit ça plus haut en parlant d'intention ?).

Si on regarde plutôt les devices en eux-mêmes (desktop, tablette, mobile, assistant vocal), on se rend compte que la recherche vocale pourrait devenir de plus en plus importante pour certaines intentions. C'est selon moi un changement majeur socialement, mais pour le SEO, c'est un changement assez peu impactant en termes de création de visibilité. Le seul souci réel me semble plutôt être celui de la monétisation (j'en parle plus loin).

SEO technique ou Data SEO ?

Le SEO vit des modes. En ce moment on parle beaucoup de SEO technique (avec par exemple une emphase sur l'analyse de logs) et on commence à aborder la notion de data SEO. C'est pour moi un point très important : dans les 5 années à venir, on verra une montée en force du data SEO.

Pourquoi ? Tout simplement parce que le data SEO est une forme de fusion entre les problématiques purement SEO et le webmarketing. Peu de gens en ont conscience, mais le webmarketing est une discipline bien plus technique que le SEO : les outils y sont plus présents, les professionnels s'en servent naturellement et sans en faire des tonnes, l'algorithmique en jeu est également beaucoup plus complexe.

Le data SEO, c'est selon moi le SEO qui va savoir utiliser la data disponible pour comprendre les internautes, et donc adapter sa stratégie de visibilité aux intentions de ses clients réels. Et ça tombe bien, car comme je l'ai déjà dit DEUX fois, c'est l'intention qui compte 😉 Le data SEO ce n'est donc pas un meilleur SEO sur les aspects usuels de son métier, c'est simplement le SEO qui ne fait pas telle ou telle chose par hasard.

Vivra t-on un changement de modèle économique ? aura-t-il réellement un impact sur le SEO ?

Chaque site vient avec son modèle économique, mais certains sites sont tributaires de Google à plusieurs titres puisqu'ils ne se monétisent que via de la publicité dont le revenu sera proportionnel au trafic (c'est le cas de nombreux sites d'actualités par exemple).

Les éditeurs sont déjà largement en train de passer à des modèles basés sur de l'abonnement pour les sites de contenus, ou à de l'affiliation pour ceux qui n'ont pas vraiment de contenu. Mais certains modèles ne passeront pas les prochaines années dans le cadre des devices mobiles et de la recherche vocale.
L'impact principal de l'arrivée de la fameuse recherche vocale pourrait être celui là : tous les sites “parasitaires” pourraient disparaître car ils n'auront pas de surface de monétisation évidente dans le contexte vocal.

Pour le reste, tant qu'il y aura de la consommation, il n'y a aucune raison qu'un changement de modèle économique puisse avoir un impact autre que marginal sur les pratiques du SEO. N'oublions pas que l'éditeur-SEO vivant de l'exploitation de MFA reste un profil marginal dans l'écosystème SEO global composé d'agences et d'annonceurs.

L'avenir du SEO, c'est aussi l'avenir d'une communauté professionnelle

J'ai lu les articles de mes confrères, précédemment parus ici, sur l'avenir du SEO.  Ils n'abordent pas un aspect important pour moi : le SEO c'est un métier, mais c'est aussi une communauté de professionnels.

Si on veut parler de l'avenir du SEO en tant que “discipline”, il faut aussi en parler en tant que secteur professionnel. Cette question a largement tendance à déchaîner les discussions, mais ce n'est sans doute offensant pour personne que de dire que nous sommes loin d'être une branche professionnelle au sens standard du terme.

Si on compare à d'autres métiers adossés aux nouvelles technologies (il est d'ailleurs amusant de toujours dire cela pour des technos qui ont maintenant 20 ans ou plus), le SEO est très clairement l'un des derniers à se structurer, et selon moi c'est parce que c'est l'un, sinon le, des moins techniques. Il y a une vision romantique du SEO geek technophile, mais en pratique on peut être un très bon SEO sans savoir réellement faire de l'informatique, et comme je le disais plus haut une discipline comme le marketing est en fait plus technique.

Étant une discipline non technique, le SEO ne s'est pas normalisé à l'aide de diplômes et de formations comme l'ont fait les développeurs ou les marketeurs, et au final nous nous retrouvons en position de faiblesse avec un déficit d'image à cause de cela.

Je pense que dans 5 ans, ce problème aura disparu : les dispositifs de formation professionnelle changent et vont nécessiter une mise à plat qui va forcer les formations SEO à rentrer dans le moule administratif, ce qui en retour va pousser les écoles et universités à ouvrir des parties de cursus à notre secteur.
Une fois que cela sera le cas, il y aura peut-être des créations plus nombreuses d'associations professionnelles (locales d'abord, sans doute), puis peut-être une forme de syndicat puis une branche professionnelle. L'autre possibilité est de se fondre dans une branche plus “puissante” et par exemple de rejoindre soit le milieu de la pub/marketing soit les développeurs...

Pour conclure : le SEO est-il mort ? (oh naaaan, encore mort ! J'avais fait semblant d'être mort…)

Le mot de la fin, vous l'aurez en visitant youtube : https://www.youtube.com/watch?v=w72iK7lkyxE. 🙂

Blague à part, le SEO a encore de beaux jours devant lui, mais simplement il va changer, il va enfin devenir technicien, probablement à cause de la nécessité d'analyser les données sur les comportements des internautes, et en tant que professionnel, il va participer à la normalisation de sa communauté, pour le meilleur, et pour le pire certainement... 😉

Nous avons la chance, pour les plus anciens d'entre nous, d'avoir été pionniers dans un nouveau métier. Le temps des débuts est fini, il faut l'accepter et aller de l'avant, apprendre toujours plus sur les nouveaux canaux et les nouvelles techniques, et c'est bien cela qui est amusant !


Sylvain Peyronnet, fondateur de la régie publicitaire sans tracking The Machine In The Middle (http://themachineinthemiddle.fr/).