La question mérite d’être posée : que risque un moteur qui sanctionnerait un site ayant clairement violé ses propres Guidelines / Recommandations / Règles / Conditions Générales et qui verrait ce site faire faillite ou perdre une grosse part de son chiffre d’affaires, suite à cette pénalité ? Compte tenu de la récurrence des sanctions, notamment prononcées par Google, il est probable que cette situation ait déjà eu lieu. La responsabilité du moteur peut-elle alors être engagée ? Théoriquement, oui, c'est possible...

Par Alexandre Diehl

Les principes directeurs du droit commun de la responsabilité

Le principe directeur du droit français extracontractuelle est visé à l’article 1 240 du code civil. Les lecteurs de la Lettre Réacteur le connaissent bien pour le voir souvent en référence : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Ce principe implique 3 éléments fondamentaux :

  • Une faute ;
  • Un préjudice ;
  • Un lien de causalité entre les deux.

En pratique, la faute est appréciée par le juge en fonction des éléments de contexte, du positionnement de chaque protagoniste, des éléments de preuve rapportées, etc. Il est important de souligner qu’un fait peut être qualifié de faute par un juge, mais pas par un autre. La justice reste humaine…

Le préjudice doit être certain. Les préjudices éventuels, les raisonnements du type « j’aurai pu tenter de... » ne fonctionnent pas. La mécanique du préjudice doit être automatique : la faute doit impliquer automatiquement le préjudice.

Le lien de causalité doit être direct. Le droit français, comme d’ailleurs tous les autres droits, ne permet pas d’indemnisation d’un préjudice causé indirectement par une faute. Si un moteur blackliste ou pénalise (perte de positions) un site qui donc ne peut plus vendre en ligne et donc ne peut plus participer à un appel d’offres et donc ne peut pas lister dans ses références client, s’il avait gagné cet appel d’offres, le client en question, le juge n’indemnisera pas la perte de référence client. Le lien est trop lâche, lointain, incertain…

Certains auront noté qu’on évoque ici la responsabilité extracontractuelle alors que l’hypothèse de travail est une responsabilité du fait de la violation du contrat du moteur (les Conditions Générales, les guidelines, etc…). Mais, l’hypothèse de travail repose sur un préjudice causé non pas du fait que le moteur aurait mal appliqué le contrat, mais au contraire, des conséquences que le site aurait subi du fait que le moteur ait appliqué (correctement) le contrat. En droit, ce cas (rare) s’appelle la responsabilité extracontractuelle du fait de l’exécution d’un contrat.

Il est donc parfaitement possible de demander réparation d’un préjudice pour des raisons de parfaite exécution du contrat, si cette exécution a causé un dommage en dehors du champ contractuel.

L’application au cas d’espèce

Disons-le immédiatement, nous avons cherché et encore cherché une jurisprudence qui pourrait relater un tel cas. Est-ce que Google a été poursuivi pour avoir appliqué correctement les Guidelines et donc pénalisé un site web qui cherchait à manipuler ses algorithmes ? La réponse est non, en l’état de nos recherches.

Pourtant, tant Google que les autres ont appliqué à de très nombreuses reprises les règles / Guidelines et sanctionné des milliers de sites pratiquant du SEO "black hat" et autres opérations douteuses ou illicites. Il existe des dizaines de sites ayant fermé du fait de ces sanctions, qui ont un impact SEO tellement incroyable qu’ils ne peuvent résister. Et pourtant, en l’état de nos recherches, aucun juge Français n’a eu à trancher un tel cas. Cela est d’autant plus étonnant que les administrateurs judiciaires / liquidateurs judiciaires, en charge des redressements / liquidations judiciaires, auraient un intérêt financier très clair à tenter le coup. En d’autres termes, compte tenu du fait qu’ils ne payent pas s’ils sont condamnés (car en faillite), ils pourraient avoir l’idée de poursuivre le moteur qui aurait sanctionné. Mais non, a priori, cela ne s'est jamais passé ainsi.

Il nous faut donc répondre au cas d’espèce de manière théorique.

On peut se poser la question de savoir si oui ou non, appliquer les règles / Guidelines de manière licite, claire, sans aucune faute constitue en tant que tel une faute au sens extracontractuel. Nous ne le pensons pas car d’une part, les juges n’appliquent que rarement cette théorie de responsabilité extracontractuelle pour exécution parfaite d’un contrat et, d’autre part, lorsqu’ils l’appliquent, il faut que la faute extracontractuelle soit énorme, incontestable, évidente. En l’espèce, nous ne le pensons pas.

Modération en fonction de l’application du droit de la consommation

L’article D111-8 du Code de la consommation dispose que « tout opérateur de plateforme en ligne dont l’activité consiste à classer ou référencer, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers, doit préciser dans une rubrique spécifique les modalités de référencement, déréférencement et de classement. Cette rubrique quoi doit être accessible à partir de toutes les pages du site doit comporter les mentions suivantes :
1° Les conditions de référencement et de déréférencement des contenus et des offres de biens et services, notamment les règles applicables pour être référencé et les obligations dont le non-respect conduit à être déréférencé ;
2° Les critères de classement par défaut des contenus et des offres de biens et services, ainsi que leur principaux paramètres ;
3° Le cas échéant, l'existence d'un lien capitalistique ou d'une rémunération entre l'opérateur de plateforme et les offreurs référencés dès lors que ce lien ou que cette rémunération exercent une influence sur le référencement ou le classement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne.
Pour chaque résultat de classement, à proximité de l'offre ou du contenu classé, tout opérateur de plateforme en ligne fait apparaître, par tout moyen distinguant ce résultat, l'information selon laquelle son classement a été influencé par l'existence d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération entre l'opérateur de plateforme et l'offreur référencé, y compris sur ce qui relève de la publicité au sens de l'article 20 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l'économie numérique. »

En revanche, si par extraordinaire, le moteur devait procéder à un déréférencement ou à la pénalité d’un site, pour appréciation juste d’une violation des règles / Guidelines, mais si le même moteur n’avait pas respecté les dispositions du code de la consommation, alors un juge pourrait prendre cette faute en considération.

En effet, le site en faillite pourrait arguer qu’un défaut d’information, notamment visé à l’alinéa 2°, ne lui a pas permis de comprendre justement les Guidelines et donc de mal les appliquer et donc de considérer la sanction comme illicite. Le juge verrait alors cette sanction, certes conforme aux règles / Guidelines, comme une faute et pourrait alors appliquer la théorie de la responsabilité extracontractuelle.

Mais ce cas reste totalement théorique en l’état, en attendant les premières jurisprudences que la Lettre Réacteur ne manquera pas de vous rapporter.

 

Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)